Des chercheurs de lUniversité McGill ont mis au jour le processus par lequel deux organismes très différents une bactérie et une fourmi charpentière en sont venus à dépendre lun de lautre pour leur survie, au point de devenir une forme de vie complexe à part entière. Publiée aujourdhui dans Nature, létude nous apprend que les deux espèces ont uni leurs forces pour modifier complètement le développement de lembryon de la fourmi et ainsi permettre cette intégration. Le mécanisme qui sous-tend la création et lévolution de telles unions est une véritable énigme pour les biologistes. Ehab Abouheif, biologiste et auteur principal de larticle, estime que cette découverte pourrait mener à une meilleure compréhension de lorigine dorganismes complexes.
La bactérie Blochmannia et la fourmi de la très diversifiée tribu Camponotini ont noué, il y a 51 millions dannées, une relation symbiotique qui empêche maintenant les deux espèces de survivre chacune de son côté. Cest ce que les biologistes appellent « endosymbiose obligatoire ». On croit que la fourmi a ingéré la bactérie par lintermédiaire dinsectes suceurs de sève, les hémiptères, avec lesquels elle partage une niche écologique. La bactérie, qui vit dans les cellules de la fourmi, contribue à la régulation de la distribution par taille des travailleuses dans la colonie en accentuant la capacité de la fourmi à synthétiser sa nourriture. En retour, la fourmi offre à la bactérie un environnement cellulaire protégé et assure sa survie de génération en génération. Toutefois, jusquà présent, on ne savait pas exactement comment cette union sétait produite.
Une réorganisation complète du développement embryonnaire
Après avoir constaté que la bactérie entoure complètement les cellules germinales, les chercheurs ont commencé à sintéresser de près aux gènes qui régulent la lignée germinale, porteuse de linformation génétique comme les ovules et le sperme chez les humains et transmise dune génération à lautre.
« Chez les insectes, les gènes de la lignée germinale se concentrent habituellement en un seul endroit dans luf, mais dans ce cas, on les retrouve dans quatre endroits. Personne na jamais rien vu de tel dans un autre insecte », soutient Arjuna Rajakumar, doctorant au sein du laboratoire du Pr Abouheif et coauteur de larticle en collaboration avec Ab. Matteen Rafiqi, ancien chercheur postdoctoral au laboratoire du Pr Abouheif, maintenant en poste à lUniversité Bezmialem Vakif, à Istanbul. « Nous avons aussi été surpris de voir les gènes Hox, qui déterminent la morphologie du corps et interviennent habituellement tard dans le développement embryonnaire, apparaître très tôt et se retrouver aux mêmes quatre endroits que les gènes de la lignée germinale », admet Ab. Matteen Rafiqi.
« Dans lembryon de la fourmi, la répartition des gènes en quatre endroits crée un ensemble de coordonnées qui jouent toutes un rôle différent dans lintégration de la bactérie », ajoute le Pr Abouheif.
Les étapes menant à une transition évolutive importante
Cest en travaillant avec plus dune trentaine despèces de fourmis étroitement apparentées que les chercheurs ont pu lever le voile sur les étapes de cette intégration. Ils ont découvert que la fusion sétait faite par étapes, depuis les embryons dont les gènes de la lignée germinale étaient tous au même endroit, jusquau moment où les gènes de la lignée germinale et les gènes Hox se sont retrouvés aux quatre emplacements. À leur grande surprise, des embryons présentant des gènes en deux endroits ont fait leur apparition avant la fusion des espèces, ce qui signifie que les embryons de fourmi avaient déjà la capacité de créer de nouveaux emplacements, que les bactéries ont pu exploiter pour modifier considérablement le développement embryonnaire et favoriser lintégration des deux espèces.
« Nous espérons que notre découverte des étapes de la formation dune relation endosymbiotique obligatoire entre cette bactérie et ces fourmis nous aidera à comprendre dautres intégrations importantes à lorigine de formes de vie complexes, comme lorsque des organismes unicellulaires se sont unis pour former des organismes multicellulaires », déclare le Pr Abouheif.
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Les travaux ont été financés par une subvention à la découverte et une bourse Steacie du CRSNG, une bourse John Simon Guggenheim, le Fonds de recherche du Québec Nature et technologies, une bourse de lUniversité Bezmialem Vakif et une bourse de lInstitut Konrad Lorenz.
Larticle « Origin and elaboration of a major evolutionary transition in individuality », par Ab. Matteen Rafiqi, Arjuna Rajakumar et Ehab Abouheif, a été publié dans Nature :
DOI :10.1038/s41586-020-2653-6
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