Lâge du Bronze (2200 à 800 av. J.-C.) marque une étape décisive dans lorientation technologique et économique des sociétés de lAncien Monde. Les populations sont confrontées au changement climatique, à louverture des échanges et à une certaine augmentation démographique. Comment répondaient-elles à ces évolutions au niveau de leur alimentation, et plus particulièrement en Suisse occidentale? Pour la première fois, une équipe de lUniversité de Genève (UNIGE) et de lUniversité Pompeu Fabra (UPF, Espagne) a mené des analyses isotopiques sur des squelettes humains et animaux et des restes végétaux. Les scientifiques ont ainsi découvert que lutilisation dengrais sétait démocratisée au fil du temps afin daugmenter les récoltes pour faire face à lexpansion démographique, quil y avait eu un changement radical des habitudes alimentaires suite à lintroduction de nouvelles céréales comme le millet, dont la diffusion révèle la nécessité dadopter de nouvelles cultures suite à la sécheresse qui sévissait en Europe à cette periode, et que les ressources consommées étaient principalement terrestres. Ses résultats sont à lire dans la revue PLOS ONE.
Aujourdhui, les ressources archéologiques pour étudier lâge de Bronze sont limitées. «Ceci est en partie dû aux changements de rituels funéraires, explique Mireille David-Elbiali, archéologue au Laboratoire darchéologie préhistorique et anthropologie du Département F.-A. Forel de la Faculté des sciences de lUNIGE. Petit à petit, les populations ont délaissé linhumation au profit de lincinération, réduisant drastiquement le matériel osseux nécessaire à la recherche. Pourtant, lâge du Bronze marque le début de nos sociétés actuelles, avec lapparition de la métallurgie.» Comme son nom lindique, les sociétés débutent le travail du bronze, un alliage de cuivre et détain. «Et ce développement de la métallurgie nécessite une intensification des échanges pour se procurer les matières premières indispensables, ce qui favorise la circulation des savoir-faire artisanaux, des biens de prestige, des conceptions religieuses et bien sûr des personnes entre lEurope et la Chine,» poursuit larchéologue.
Le régime alimentaire imprimé dans les os
Le Néolithique marque le début de lélevage et de la culture du blé et de lorge. Mais quen est-il du régime alimentaire à lâge du Bronze qui lui succède? Jusquà aujourdhui, les reconstitutions de lalimentation, de lenvironnement et des pratiques de lagriculture et de lélevage à lâge du Bronze ont été réalisées par larchéobotanique et larchézoologie, mais ces méthodes ne fournissent que des informations générales. «Pour la première fois, nous avons décidé de répondre à cette question de manière précise en analysant directement des squelettes humains et animaux, afin détudier les isotopes stables issus du collagène des os et de dents qui les constituent et définir leurs conditions de vie,» précise Alessandra Varalli, chercheuse au Département des Sciences Humaines de lUPF et première auteure de létude. «En effet, nous sommes ce que nous mangeons, continue Marie Besse, professeure au Laboratoire darchéologie préhistorique et anthropologie du Département F.-A. Forel de la Faculté des sciences de lUNIGE. En effectuant des analyses biochimiques des os et des dents, nous pouvons découvrir quels types de ressources ont été consommés.» 41 squelettes humains, 22 animaux et 30 échantillons de plantes provenant de sites en Suisse occidentale et en Haute-Savoie (France), qui séchelonnent du début à la fin de lâge du Bronze, ont été étudiés.
Pas de différence entre les hommes, les femmes et les enfants
Le premier résultat de cette étude démontre quil ny a pas de différence entre les régimes alimentaires des hommes et des femmes, et quil ny a pas de changements remarquables de lalimentation entre lenfance et la phase adulte de ces individus. «Il ny avait donc pas de stratégie spécifique pour alimenter les enfants, tout comme les hommes ne consommaient pas plus de viande que les femmes. De plus, concernant lorigine des protéines consommées, il a été constaté que bien que la Suisse occidentale bénéficie dun lac et de rivières, lalimentation était principalement tournée vers les animaux et les plantes terrestres, au détriment des poissons ou dautres ressources deau douce,» précise Alessandra Varalli. Mais lintérêt principal de létude repose sur les plantes, révélatrices des bouleversements sociétaux.
Une agriculture qui sadapte au bouleversement climatique
«Lors de lâge du Bronze ancien (2200 à 1500 av. J.-C.), lagriculture était principalement fondée sur lorge et le blé, des céréales dorigine proche-orientale cultivées dès le Néolithique en Europe, explique Alessandra Varalli. Mais dès le Bronze récent-final (1300 à 800 av. J.-C.), nous constatons lintroduction du millet, une plante venue dAsie qui pousse en milieu plus aride.» De plus, les isotopes de lazote ont révélé une intensification de lutilisation dengrais. «Lanalyse de plusieurs espèces de plantes de phases différentes de lâge du Bronze suggère une augmentation de la fertilisation du sol au cours du temps, afin daugmenter très probablement la production des cultures agricoles,» poursuit la chercheuse.
Ces deux découvertes couplées semblent confirmer dune part laridité générale qui sévissait en Europe à cette période, nécessitant une adaptation de lagriculture, et dautre part la densification des échanges entre les diverses cultures comme celle de lItalie du Nord ou de la région danubienne, permettant lintroduction du millet en Suisse occidentale. Ces nouvelles céréales pourraient avoir joué un rôle important dans la sécurité de lapprovisionnement et peut-être favorisé laugmentation de la population quon observe au Bronze final. Elles croissent en effet plus rapidement et supportent mieux la sécheresse, à une période où le climat était relativement chaud et sec. Enfin, la pratique de la fertilisation sajoute à lamélioration générale des techniques, quelles soient agricoles ou artisanales. «Cette première étude sur lévolution de lalimentation en Suisse occidentale à lâge du Bronze corrobore ce que nous savons de cette période, mais démontre aussi la richesse dimportants échanges interculturels,» senthousiasme Marie Besse. Il reste encore beaucoup à apprendre de ce millénaire, malgré les difficultés scientifiques liées au peu de matériel à disposition. «Cest une des raisons qui mamène à fouiller avec les étudiant-es de lUNIGE la grotte de lEremita située dans le Piémont italien, datée de lâge du Bronze moyen vers 1600 av. J.-C.,» conclut Marie Besse.
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Cette étude de lUNIGE et de lUPF a été réalisée en collaboration avec lUniversité de Neuchâtel (UNINE) et dAix-Marseille (Lampea, France).
Journal
PLoS ONE