image: Emile Baril
Credit: Concordia University
Les plateformes numériques basées sur des algorithmes, telles qu’Uber Eats, ont révolutionné le secteur de la livraison de repas au cours de la dernière décennie. Cependant, selon une nouvelle étude parue dans le Journal of Canadian Labour Studies, le supplément facturé aux consommateurs pour leur faciliter la vie a un coût.
D’après l’équipe de recherche, la croissance rapide de ce secteur repose sur deux facteurs fondamentaux : une main-d’œuvre abondante et immédiatement disponible, et la précarité économique inhérente à celle-ci. Au cours des dernières années, cette main-d’œuvre était principalement composée de jeunes hommes immigrés.
Deux villes sous la loupe
Émile Baril, chercheur postdoctoral à l’Institut de recherche sur les migrations et la société de l’Université Concordia, qui a lui-même brièvement travaillé comme livreur de repas, a coécrit l’article avec Mircea Vultur, de l’Institut national de la recherche scientifique. Les experts ont mené 30 entretiens semi-structurés avec des livreurs à Toronto et à Montréal afin de mieux comprendre leurs conditions de travail et leurs expériences.
Les livreurs trouvaient que le travail était difficile et mal rémunéré, et que les faibles barrières à l’entrée sur le marché entraînaient un recrutement excessif, ce qui accentuait la précarité.
À Toronto, les travailleurs étaient généralement des étudiants étrangers, souvent originaires d’Asie du Sud, qui étaient contraints de travailler de longues heures pour payer leurs droits de scolarité élevés. À Montréal, la plupart des travailleurs étaient aussi des étudiants ou des personnes en attente de la reconnaissance de leur diplôme. Ils venaient principalement des régions francophones d’Afrique ou des Caraïbes, en particulier d’Haïti. Dans les deux villes, les coursiers étaient en grande majorité des hommes jeunes.
« Nous avons commencé à nous pencher sur cette question juste avant la pandémie de COVID-19, mais lorsque le confinement a débuté, le secteur de la livraison de repas a explosé, raconte M. Baril. Des plateformes comme Uber Eats ont trouvé là une occasion de réduire considérablement les salaires minimums de leurs travailleurs. Vers 2022 ou 2023, alors que les conditions se détérioraient, les travailleurs à temps partiel nés au Canada, qui étaient pour la plupart des étudiants ou des artistes exerçant une activité secondaire, ont commencé à quitter le secteur. Les immigrants et les étudiants étrangers en situation économique précaire ont alors afflué. »
Émile Baril affirme que les conditions de travail sont généralement moins bonnes à Toronto, en raison des distances géographiques plus importantes, du coût de la vie plus élevé, du manque de pistes cyclables et d’un bassin de main-d’œuvre plus vaste.
Des forces impersonnelles entraînent une faible rémunération
Les auteurs écrivent que la précarité des coursiers est due à trois facteurs principaux.
- Le client devenu gestionnaire : Les clients des plateformes numériques contrôlent la rémunération des travailleurs à travers les pourboires, les évaluations et les plaintes, et peuvent suivre leurs déplacements en temps réel. Par conséquent, les travailleurs sont souvent pénalisés pour des raisons indépendantes de leur volonté, telles que les retards dans les restaurants ou les embouteillages. Les préjugés liés à l’origine ethnique ou au sexe peuvent également nuire à leurs scores et à leurs revenus.
- Le contrôle algorithmique : C’est un système informatique caché, et non un responsable humain, qui décide quel livreur se voit attribuer quelle livraison et combien il sera payé. Les travailleurs rapportent qu’ils « devinent le fonctionnement du système » afin d’obtenir des commandes acceptables. Pendant ce temps, l’application enregistre leurs déplacements, et les comptes peuvent être fermés sans avertissement. Ce manque de transparence renforce le contrôle de la plateforme sur les choix des coursiers en matière de livraisons.
- L’exploitation structurale : Les coursiers sont souvent obligés d’attendre dans les restaurants sans être rémunérés, et les femmes en particulier font face à des situations dangereuses au travail. Les coursiers se plaignent également que le recrutement excessif inonde le marché du travail. Avec autant de travailleurs en concurrence, les salaires baissent tellement que beaucoup finissent par gagner moins que le salaire minimum une fois que les coûts tels que l’essence ou les réparations de véhicules sont pris en compte.
Émile Baril estime que les récentes modifications apportées à la politique canadienne en matière d’immigration, notamment la réduction du plafond imposé aux étudiants étrangers, pourraient améliorer les conditions à mesure que le marché du travail se resserre. Cela dit, il pense qu’il y aura toujours un groupe de travailleurs en situation économique précaire prêts à accepter ce type d’emploi.
« Certains coursiers à qui j’ai parlé m’ont dit qu’ils préféreraient continuer à travailler comme livreurs pour Uber Eats plutôt que de passer chaque jour des heures à voyager pour travailler dans une usine située en périphérie de la ville », explique-t-il.
« Il est difficile de prédire comment la situation va évoluer. Une mauvaise année pour les étudiants étrangers ne suffira pas à changer radicalement ce secteur. »
Lisez l’article cité : « Navigating Streets, Restaurants, and Algorithms: A Study of Young Immigrant Food Delivery Couriers in Montréal and Toronto ».
Method of Research
Survey
Subject of Research
People
Article Title
Navigating Streets, Restaurants, and Algorithms: A Study of Young Immigrant Food Delivery Couriers in Montréal and Toronto
Article Publication Date
16-May-2025
COI Statement
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