image: Gully in Kinshasa
Credit: Mathias Vanmaercke / KULeuven
Cette étude publiée dans Nature dresse la première cartographie nationale des ravines urbaines en République démocratique du Congo (RDC) en quantifiant l'extension du phénomène, ses dynamiques récentes ainsi que son coût humain à l'échelle d'un pays. Cette approche, réplicable à d'autres villes et pays, pourrait aider à gérer un problème qui ne cesse de croître et qui coûte très cher ... humainement et financièrement.
Formation géomorphologique et hydrogéologique, les ravines sont de grands et profonds sillons causés par l’eau de pluie qui force son passage à travers les terrains avec une grande puissance, érodant le sol.. Dans les villes, les ravines peuvent atteindre plusieurs centaines de mètres de long et plusieurs dizaines de mètres de large, divisant des quartiers en deux. Une fois formées, elles continuent de s'étendre à chaque forte pluie. Les conséquences sont dévastatrices. "Les ravines urbaines sont des catastrophes silencieuses", explique le Dr Guy Ilombe Mawe de l’Université Officielle de Bukavu, premier auteur de l'article. "Elles font rarement la une des journaux, mais elles déplacent chaque années des centaines voire des milliers de personnes rien que dans la ville de Kinshasa".
Phénomène au départ naturel, l'ampleur de leur développement s'est accéléré ces dernières années en Afrique - notamment - à cause de l'activité de l'homme et de l'anthropisation des paysages associés à l’expansion des villes. "Si des facteurs naturels, comme les pluies intenses, jouent un rôle important dans le déclenchement des ravines, les facteurs de prédisposition sont quasi toujours anthropiques, explique Aurélia Hubert, géologue à l'ULiège. L'urbanisation non planifiée sur des terrains en forte pente, des routes mal drainées, l'insuffisance d’ouvrages de collecte et de stockage des eaux sont des facteurs qui sont venus aggraver le phénomène."
En combinant images satellites de très haute résolution et des données démographiques, l’équipe de chercheurs congolais et belges ont pu révéler l’ampleur, les facteurs et les impacts humains de cette érosion sur le territoire de la République Démocratique du Congo. "2 922 ravines (ou urban gullies) ont été identifiées dans 26 villes, avec des déplacements estimés à environ 118 600 personnes entre 2004 et 2023 avec une nette accélération après 2020, explique Matthias Vanmaercke, professeur à la KULeuven et spécialiste des ravinements. Les comparaisons avec des photographies aériennes des années 1950 montrent que la quasi-totalité de ces ravines est apparue avec l’urbanisation récente et le réseau routier, puisque seulement 46 ravines existaient avant l’essor des quartiers bâtis."
Au-delà des destructions matérielles, ces dynamiques traduisent un risque comparable, en termes d’impacts humains, à des aléas mieux connus comme les glissements de terrain ou encore les séismes, mais largement sous-estimé dans les politiques urbaines. En ce sens, l'étude propose des pistes de solutions concrètes telles que la prévention. "La prévention est préférable à la réparation, reprend Aurélia Hubert. Stabiliser une seule ravine peut dépasser le million de dollars ! Repenser le drainage, la voirie et l’occupation du sol coûte moins cher que panser les plaies."
L’étude appelle notamment à :
- intégrer le risque de ravinement dans les plans d’urbanisme et les normes de voirie ;
- cibler en priorité les zones exposées pour protéger les habitants et redimensionner les dispositifs de drainage ;
- développer des modèles prédictifs pour anticiper où et quand les ravines peuvent se former, et intervenir tôt, car la longueur initiale de la ravine conditionne l’ampleur future des dégâts.
Une méthode transposable
La force du travail tient aussi à sa méthode : une cartographie à l’échelle d’un pays à partir d’images satellites (≤ 1 m de résolution spatiale), validée par des relevés de terrain (434 ravines), et couplée à des jeux de données démographiques pour estimer exposition et déplacements.
Cette approche, conçue au départ pour étudier de grande étendue de la RDC, est réplicable dans d’autres villes du Sud global confrontées à une urbanisation rapide. "À l’heure où l’Afrique urbaine grandit à vive allure, les ravines urbaines représentent un nouveau type d’aléa géo-hydrologique aux conséquences majeurs dont l’occurrence et les risques associés sont maîtrisables, conclu Olivier Dewitte, géographe au Musée royal de l'Afrique centrale (AfricaMuseum). En révélant son ampleur, ses moteurs et ses coûts humains, cette étude fournit une base opérationnelle pour agir en planifiant et en intervenant plus tôt afin d'éviter que les rues ne se transforment en canyons."
Journal
Nature
Article Title
Mapping urban gullies in the Democratic Republic of the Congo
Article Publication Date
27-Aug-2025