La schizophrénie est un trouble psychiatrique souvent sévère et invalidant qui affecte environ 1% de la population mondiale. Si depuis quelques années les recherches suggèrent quune désynchronisation des neurones pourrait être la cause des symptômes neuropsychiques dont souffrent les patients troubles de la mémoire, hyperactivité ou encore phénomènes hallucinatoires lorigine cellulaire dune telle désynchronisation demeure mal connue. Aujourdhui, un pas décisif dans la compréhension de cette maladie a été franchi. Des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE) sont non seulement parvenus à décrypter un mécanisme cellulaire menant à la désynchronisation des réseaux neuronaux, mais aussi à corriger ce défaut dorganisation dans un modèle animal adulte, supprimant de fait des comportements anormaux associés à la schizophrénie. Ces résultats, à découvrir dans la revue Nature Neuroscience, montrent quune intervention thérapeutique est envisageable à tous les âges de la vie.
La schizophrénie, dont les manifestations cliniques peuvent différer dun patient à lautre, est une maladie neurodéveloppementale caractérisée par de nombreux symptômes cognitifs et comportementaux, notamment des hallucinations visuelles ou auditives, des problèmes de mémoire et de planification ou encore une hyperactivité. Si lon ignore encore lorigine exacte de cette maladie très invalidante, certaines mutations génétiques en augmentent fortement le risque. Par exemple, dans le syndrome de DiGeorge, les personnes affectées ont 40 fois plus de risque de développer des troubles schizophréniques que la population générale. Appelé aussi syndrome de la délétion 22q11, cette anomalie génétique humaine est marquée par labsence dune trentaine de gènes sur lune des deux copies du chromosome 22.
«Que se passe-t-il dans le cerveau des patients souffrant de ces modifications comportementales caractéristiques de la maladie ? Nous voulions non seulement comprendre de quelle manière les réseaux neuronaux dysfonctionnaient, mais aussi sil était possible de rétablir leur fonctionnement normal, notamment à lâge adulte», explique Alan Carleton, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de lUNIGE, qui a dirigé ces travaux.
Une affaire de réseaux
Les neuroscientifiques genevois ont choisi de se pencher sur les réseaux de neurones de lhippocampe, une structure cérébrale impliquée notamment dans la mémoire. Ils ont pour cela étudié un modèle murin qui reproduit laltération génétique du syndrome de DiGeorge ainsi que des changements comportementaux associés à la schizophrénie. Dans lhippocampe dune souris contrôle, les milliers de neurones qui composent le réseau se coordonnent selon une séquence dactivité très précise, dynamique dans le temps et synchronisée. Par contre, dans les réseaux neuronaux de leur souris modèle, les scientifiques genevois ont observé tout autre chose: les neurones présentaient le même niveau dactivité que dans des animaux contrôles, mais sans aucune coordination, comme si ces cellules étaient incapables de communiquer correctement entre elles.
«Lorganisation et la synchronisation des réseaux neuronaux se fait grâce à lintervention de sous-populations de neurones inhibiteurs, notamment les neurones à parvalbumine», souligne Alan Carleton. «Or, dans ce modèle animal de la schizophrénie, ces neurones sont beaucoup moins actifs. Sans une inhibition correcte qui permet de contrôler et de structurer lactivité électrique des autres neurones du réseau, lanarchie règne ainsi en maître.»
Rétablir lordre neuronal, même à lâge adulte
Les scientifiques ont alors tenté de rétablir la synchronisation nécessaire au bon fonctionnement des réseaux neuronaux. Pour cela, ils ont ciblé spécifiquement les neurones à parvalbumine de lhippocampe. En stimulant ces neurones inhibiteurs dysfonctionnels, ils ont restauré lorganisation séquentielle et le fonctionnement normal des réseaux neuronaux. Conséquence de cette resynchronisation: les scientifiques ont corrigé des anomalies comportementales de ces souris modèles de schizophrénie, supprimant leur défaut dhyperactivité et leur déficit de mémoire.
Ces résultats très positifs suggèrent quune intervention thérapeutique est possible, y compris à lâge adulte. «Ce dernier élément est vraiment essentiel. La schizophrénie se déclare en effet à la fin de ladolescence, même si les altérations sont très probablement présentes dès le stade neurodéveloppemental. Daprès nos travaux, renforcer laction dun neurone inhibiteur faiblement actif, même après avoir passé les périodes de développement cérébral, pourrait suffire à rétablir le bon fonctionnement des réseaux neuronaux et faire disparaître certains comportements pathologiques.»
Les traitements actuels de la schizophrénie sont essentiellement basés sur ladministration dantipsychotiques ciblant les systèmes dopaminergiques et sérotoninergiques. Si leur effet sur les symptômes hallucinatoires est notable, ils restent cependant moins efficaces pour améliorer de nombreux symptômes notamment cognitifs. Une approche visant à pallier le défaut des neurones à parvalbumine pour augmenter leur effet inhibiteur apparaît donc comme une cible prometteuse, mais il faudra encore du temps avant la mise au point dun traitement basé sur cette stratégie. Les neuroscientifiques veulent maintenant confirmer leurs résultats plus largement en étendant notamment leurs recherches à des formes de schizophrénie résultants daltérations génétiques différentes de celles du syndrôme de DiGeorge.
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Journal
Nature Neuroscience