image: Migration of primordial germ cells in the human embryo. view more
Credit: © Laurence Zulianello
Parmi les nombreuses formes de cancer du pancréas, il en existe une qui ne frappe que les femmes, souvent jeunes. Comment est-ce possible, alors même que le pancréas est un organe peu soumis aux hormones sexuelles ? De plus, ce cancer du pancréas, dit «kyste mucineux» présente détranges ressemblances avec un autre cancer mucineux, celui de lovaire. En menant de analyses à grande échelle de données génomiques, des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève, en collaboration avec des collègues américains, ont apporté une réponse : ces tumeurs ont toutes deux pour origine des cellules germinales embryonnaires. Alors quelles sont encore indifférenciées, elles migrent vers les organes reproducteurs mais peuvent par erreur sarrêter en route dans de nombreux organes, porteuses dun risque de tumeur susceptible de se déclarer 30 ans plus tard. En permettant une meilleure classification de ces tumeurs mucineuses, ces travaux, à lire dans le Journal of Pathology, ouvrent la voie à une prise en charge mieux adaptée et personnalisée de lorigine de la tumeur.
Les tumeurs mucineuses de lovaire et du pancréas frappent des femmes jeunes entre 30 et 40 ans. Elles prennent la forme dun gros kyste, une sorte de boule remplie de liquide. Rares elles représentent environ 3% des cancers de lovaire et du pancréas elles sont en général traitées par chirurgie. Prises à temps, le kyste cancéreux est intégralement enlevé. Dans 15% des cas cependant, le kyste se rompt avant lintervention chirurgicale; les cellules cancéreuses se répandent alors dans le péritoine, donnant naissance à des métastases très résistantes aux traitements par chimiothérapie. Dès lors, le pronostic de survie des patientes ne dépasse pas un an.
«Au départ, ces travaux sont issus dune observation clinique», indique la Dre Intidhar Labidi-Galy, chercheuse au Centre de recherche translationnelle en onco-hématologie de la Faculté de médecine de lUNIGE et médecin aux HUG, qui a dirigé ces travaux. «Spécialiste du cancer de lovaire, je suis tombée un peu par hasard sur un article détaillant le profil génétique des tumeurs mucineuses du pancréas. A ma grande surprise, elles présentaient les mêmes altérations génétiques que les tumeurs mucineuses de lovaire, alors que ces deux organes nont aucune relation directe lun avec lautre». Dr Kevin Elias, premier auteur de létude et professeur assistant au Brigham and Womens Hospital, Boston, USA constate les liens étroits entre les deux tumeurs : «Nous avons identifié les mêmes mutations génétiques, les mêmes types de victimes des femmes jeunes, souvent fumeuses et, encore plus surprenant, le fait que des tissus dorigine ovarienne soient retrouvés dans les kystes pancréatiques.»
Une origine commune
Pourquoi un cancer non gynécologique est-il presque exclusivement féminin ? Quel est le lien entre lovaire et le pancréas ? «Il ny a que durant lembryogenèse que ces organes sont vraiment proches. Au tout début de la grossesse, lembryon dispose de cellules germinales primordiales en quelque sorte des précurseurs des gamètes, ovocytes ou spermatozoïdes qui, entre 4 et 6 semaines de grossesse, vont faire une longue migration dans le corps humain. Elles traversent tout le corps, passent derrière le futur pancréas et arrivent dans lébauche des gonades, vers la 7e semaine. Très probablement, certaines de ces cellules germinales sarrêtent en chemin», explique la Dre Labidi-Galy.
Grâce à des bases de données publiques, Kevin Elias et Petros Tsantoulis de lUNIGE, sous la direction des Drs Intidhar Labidi-Galy et Ronny Drapkin de lUniversité de Pennsylvanie, ont pu établir un profil transcriptomique qui permet didentifier les niveaux dexpression des gènes dans un tissu des cellules germinales primordiales à 6, 7, 11, 16 et 17 semaines de grossesse, ainsi que celui des tumeurs (ovaire et pancréas) et des cellules saines des organes concernés.
Les chercheurs ont ensuite comparé ces données, dun côté avec le pancréas et de lautre avec lovaire, en étudiant pour chacun de ces deux organes le profil des tissus sains, des tumeurs mucineuses et dautres types de tumeurs du pancréas ou de lovaire. Le constat est sans appel : dans les deux cas, le profil transcriptomique de la tumeur mucineuse se situe à distance du tissu supposé dorigine (ovaire ou pancréas), mais très proche des cellules germinales primordiales. Cela prouve donc que ces tumeurs sont plus proches des cellules germinales primordiales que de lorgane dans lequel elles se sont développées.
Des arrêts pendant la migration
Ces résultats indiquent quun arrêt de migration de cellules survenu accidentellement lors de la vie embryonnaire de ces femmes peut, des dizaines dannées plus tard, sexprimer sous la forme dun cancer, selon leurs autres facteurs de risque (lusage de tabac, par exemple) et lendroit du corps où ces cellules germinales primordiales se sont installées. En effet, si les scientifiques genevois se sont penchés sur le pancréas et lovaire, des cas similaires ont été rapportés partout sur la ligne de migration des cellules germinales, notamment dans le foie ou le péritoine.
«Nos résultats ne vont pas changer la prise en charge chirurgicale de ces patientes, mais peuvent nous amener à une réflexion sur les protocoles de chimiothérapie. Ces tumeurs rares sont un peu comme les maladies orphelines des cancers, pour lesquelles il nexiste pas de traitements standardisés. En les rapprochant dautres cancers, nous espérons identifier des traitements qui se révéleraient efficaces. Pour chaque mutation, quel traitement ? Nous sommes ici au cur de loncologie personnalisée : connaître son ennemi dans ses moindres détails permet de mieux le combattre», conclut la Dre Labidi-Galy.
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Journal
The Journal of Pathology