Nous sommes sans cesse confrontés aux expressions de visage de notre entourage, expressions qui reflètent leurs émotions. Mais est-ce que nous les interprétons correctement ? Et avons-nous confiance en notre propre jugement ? Cette confiance est primordiale pour éviter des quiproquos ou même des situations potentiellement dangereuses, cest pourquoi des chercheurs de lUniversité de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont testé le degré de confiance des personnes en leur jugement des émotions dautrui, et les zones cérébrales qui lui sont liées. Ces résultats, à lire dans la revue Social, Cognitive and Affective Neuroscience, démontrent que la confiance en linterprétation émotionnelle découle directement de nos expériences stockées dans notre mémoire. Notre parcours de vie influe ainsi sur nos interprétations et nous induit, parfois, en erreur.
Toutes nos décisions dépendent de la confiance que lon accorde à notre propre interprétation. Pourtant, elles sont parfois incorrectes alors que notre confiance est totale, par exemple lors dun mauvais placement boursier. Il en va de même lors de nos interactions sociales. Sans cesse, nous interprétons les expressions de visage dautrui, et la confiance que nous accordons à notre interprétation est primordiale. «Laffaire américaine Trayvon Martin, du nom de ce jeune Afro-Américain de 17 ans tué dun coup de feu par George Zimmerman alors quil nétait pas armé, en est la parfaite illustration», explique Indrit Bègue, chercheuse postdoctorale au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de lUNIGE et médecin au service de psychiatrie adulte au Département de psychiatrie et santé mentale aux HUG. «Suite à une mauvaise interprétation de George Zimmerman, considérant le comportement de Trayvon Martin comme suspect, voire dangereux, une altercation sest produite avec lissue mortelle que lon connaît.» Mais pourquoi George Zimmerman était convaincu que lattitude de Trayon Martin était dangereuse, alors que celui-ci attendait devant la maison de son père ? Cest pour répondre à ce type dinterrogations que les chercheurs de lUNIGE et des HUG ont voulu tester ce degré de confiance en nos interprétations du comportement émotionnel dautrui, et quelles zones cérébrales sactivent lors de cette interprétation.
Une confiance émotionnelle démesurée
Afin de mesurer cette confiance, les scientifiques ont demandé à 34 participants de juger des visages dessinés représentant un mix entre une émotion de joie et une émotion de colère, encadrés de deux barres horizontales plus au moins épaisses. Les visages étaient parfois très clairement joyeux ou colériques, et parfois extrêmement ambigus. Dans un premier temps, les participants devaient définir quelle était lémotion des 128 visages qui ont défilé. Puis ils devaient choisir laquelle des deux barres était la plus épaisse. Enfin, pour chacune de ces décisions, ils devaient indiquer leur degré de confiance en leur choix sur une échelle allant de 1 (pas du tout sûr) à 6 (certain). «Les barres sont utilisées pour évaluer la confiance de la perception visuelle, déjà très bien étudiée. Il nous sert ici de mécanisme de contrôle», relève Patrik Vuilleumier, professeur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de lUNIGE.
Les résultats de ces tests ont pour le moins surpris les chercheurs. «Étonnamment, la confiance moyenne pour linterprétation émotionnelle était plus élevée (5,88 points) que pour linterprétation visuelle (4,95 points), alors même que les participants faisaient davantage derreurs dans la reconnaissance des émotions (79% de réponses correctes) que dans celle des lignes (82% de réponses correctes) !», sexclame Indrit Bègue.
En effet, lapprentissage de la reconnaissance émotionnelle nest pas aussi évident que celui de la perception : une personne peut être ironique, mentir ou empêchée dexprimer ses émotions faciales à cause de conventions sociales, comme par exemple en présence de son patron. Il est donc plus difficile de calibrer correctement sa confiance en sa reconnaissance des émotions dautrui en absence de retour. De plus, nous devons très rapidement interpréter une expression, car celle-ci est fugace. Nous estimons alors que notre première impression est la bonne et faisons confiance à notre jugement sur un regard ou une bouche en colère. Au contraire, le jugement de perception peut être plus attentif et bénéficie dun retour direct sur sa justesse. En cas dhésitation, la confiance est donc moins élevée que pour une émotion, car lon sait que lon peut avoir tort facilement et être contredit.
Une confiance fondée sur la mémoire
Du point de vue cérébral, les chercheurs de lUNIGE et des HUG ont observé les mécanismes activés lors de ce processus de confiance en ses interprétations émotionnelles, en munissant les participants dune IRM fonctionnelle. «Lorsque les participants jugeaient les lignes, les zones de la perception (aires visuelles) et de lattention (aires frontales) sactivaient. Mais lors de lévaluation de la confiance liée à la reconnaissance des émotions, ce sont les zones liées à la mémoire autobiographique et contextuelle qui travaillaient, comme le gyrus parahippocampique et le cortex rétrosplénial/cingulaire postérieur», commente Patrik Vuilleumier. Ceci démontre que les mémoires personnelle et contextuelle sont directement impliquées dans la reconnaissance émotionnelle et déterminent la précision de linterprétation des expressions de visage et la confiance quon leur accorde. «Que le parcours de vie ait tant dimportance peut poser problème au quotidien, car nos expériences peuvent biaiser notre jugement, comme lors de laffaire Trayvon Martin, où George Zimmerman na pas vu un jeune homme impatient attendant devant chez lui, mais un homme de couleur en colère rôdant devant une maison, continue Indrit Bègue. Cest pourquoi il est capital de donner un retour sur nos émotions pour apprendre aux enfants à les interpréter correctement.»
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Journal
Social Cognitive and Affective Neuroscience