Le suivi actuel des systèmes biologiques marins ne couvre quune infime fraction des océans, ce qui limite notre capacité à prédire avec confiance les effets attendus du dérèglement climatique sur la biodiversité marine. En utilisant un nouveau modèle numérique, une équipe internationale, conduite par le CNRS et impliquant en France des chercheurs de Sorbonne Université, montre une accélération des altérations biologiques avec des conséquences pour lexploitation des ressources marines. Ces résultats sont publiés le 25 février 2019 dans Nature Climate Change.
De tout temps, les systèmes biologiques marins ont subi des altérations plus ou moins importantes causées par la variabilité naturelle du climat. Des changements biologiques rapides, qualifiés de « surprises climatiques », ont également été détectés dans de nombreuses régions océaniques. Pour comprendre ces fluctuations biologiques, quelles soient brutales et inattendues ou à plus long terme, des chercheurs[1] du CNRS, de Sorbonne Université et dinstituts européens, américains et japonais ont développé une approche originale, basée sur la théorie de lorganisation de la biodiversité METAL[2]. Pour élaborer ce modèle numérique, les scientifiques ont créé un grand nombre despèces théoriques, présentant une large gamme de réponses aux fluctuations naturelles des températures. Les espèces fictives, qui résistent aux fluctuations thermiques, sassemblent ensuite en pseudo-communautés et colonisent progressivement toutes les régions océaniques.
Les programmes dobservation de la biodiversité marine couvrent une faible superficie des océans et prennent bien souvent place dans des régions proches des côtes. Ce nouveau modèle basé sur la théorie METAL offre une couverture spatiale globale et permet didentifier rapidement les changements biologiques majeurs qui pourraient affecter fortement la biodiversité marine et les services écosystémiques associés, tels que la pêche, laquaculture ou le cycle du carbone. Dabord testé sur 14 régions océaniques, ce modèle a reproduit les changements biologiques observés sur le terrain depuis les années 1960. Appliqué ensuite à lensemble des océans, il a permis aux chercheurs de quantifier la force et létendue spatiale de ces changements biologiques. Grâce à ce modèle, ils ont mis en évidence une augmentation récente et sans précédent des « surprises climatiques », probablement à attribuer au phénomène El Niño, aux anomalies thermiques de lAtlantique et du Pacifique[3] et au réchauffement de lArctique.
Dans la plupart des cas, le modèle prédit un événement un an avant quil ne se produise, permettant didentifier les régions de biodiversité « à risque », mais actuellement non couvertes par les programmes dobservation sur le terrain. Alors que la biodiversité marine permet lexploitation annuelle de 80 millions de tonnes de poissons et dinvertébrés marins, les changements de biodiversité mis en avant par ce nouveau modèle numérique se traduiront par une réorganisation globale des espèces et des communautés dans locéan, qui pourront être bénéfiques ou dommageables pour lHomme.
1. Au Laboratoire docéanologie et de géosciences (CNRS/Université de Lille/Université littorale Côte dOpale), au laboratoire Biologie des organismes et écosystèmes aquatiques (CNRS/MNHN/IRD/Sorbonne Université/Université de Caen/Université des Antilles) et au Laboratoire docéanographie de Villefranche (CNRS/Sorbonne Université).
2. Pour Macro Ecological Theory on the Arrangement of Life. Voir le livre Beaugrand, G. Marine biodiversity, climatic variability and global change, (Routledge, 2015)
3. Appelées « blobs », ces anomalies consistent en une vaste étendue deau anormalement chaude dans le Pacifique et anormalement froide dans lAtlantique.
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Journal
Nature Climate Change