Les technologies produites par les civilisations humaines sont-elles le résultat de nos capacités intellectuelles ou de nos aptitudes dimitation ? Daprès une équipe internationale comprenant des chercheurs de lUniversité catholique de Lille et du CNRS, avec le soutien de TSE de lUniversité Toulouse 1 Capitole (1), la création de technologies efficaces ne nécessite pas forcément leur compréhension. Leur étude est publiée dans la revue Nature Human Behaviour le 1er avril 2019.
Produire des outils complexes et sadapter à différents milieux : on pense souvent que lêtre humain a pu y parvenir grâce à son imposant cerveau, qui le rendrait plus ingénieux et inventif que dautres espèces. Pourtant, lefficacité de technologies telles que larc ou le kayak dépend de nombreux paramètres quil est encore aujourdhui difficile de comprendre et de modéliser, même pour des physiciens. Pour cette raison, certains anthropologues ont suggéré que ces technologies résultent non pas de nos capacités de raisonnement mais de notre propension à copier les autres membres de notre groupe : de petites améliorations seraient sélectionnées successivement, conduisant à lémergence de technologies efficaces et pourtant incomprises des individus.
Les chercheurs ont voulu tester cette théorie en laboratoire. Pour cela, ils ont recruté des étudiants qui devaient optimiser une roue afin quelle parcoure le plus rapidement possible la distance dun mètre sur des rails inclinés (photo). Chacun avait cinq essais pour produire la configuration la plus efficace, avant de répondre à un questionnaire qui testait sa compréhension des mécanismes physiques pouvant influencer la vitesse de la roue. Afin de simuler la succession des générations humaines, les chercheurs ont créé des chaînes de cinq individus : chacun avait accès, sur un écran dordinateur, à la configuration et à lefficacité de la roue des deux derniers essais du participant précédent.
Tandis que la roue gagnait en vélocité au cours des « générations », la compréhension des individus est restée médiocre. En dautres termes, il ny avait aucun lien entre la performance de la roue et le niveau de compréhension des participants ! Chaque individu avait produit des configurations plus ou moins aléatoires et cest la combinaison entre ces essais-erreurs individuels et la copie des configurations les plus rapides qui avait suffi à optimiser la roue.
Dans une seconde version de lexpérience, les participants transmettaient à lindividu suivant, en plus de leurs deux derniers essais, un texte décrivant leur théorie sur lefficacité de la roue. Les résultats furent similaires : les roues gagnaient en vitesse mais, là encore, sans que les individus comprennent pourquoi. La transmission de théories fausses ou incomplètes pouvait même empêcher les générations suivantes de développer une compréhension correcte du système, les rendant comme aveugles à une partie du problème.
Cette expérience illustre limportance des processus culturels dans lapparition doutils complexes : notre aptitude à copier les autres individus permet lémergence de technologies que nul naurait su inventer de lui-même. Elle invite à se montrer prudent dans linterprétation des vestiges archéologiques en termes de capacités cognitives, ces aptitudes nétant pas le seul moteur de lévolution technologique.
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Notes
(1) Maxime Derex est chercheur à lUniversité dExeter et membre du laboratoire ETHICS de lUniversité catholique de Lille. Jean-François Bonnefon est chercheur CNRS au laboratoire Toulouse School of Management Research (CNRS/ Université Toulouse 1 Capitole) et membre de TSE (Toulouse School of Economics).
Journal
Nature Human Behaviour