Un nouvel article publié par des chercheurs de lUniversité McGill dans la revue JAMA-Internal Medicine suggère que certains essais cliniques pourraient favoriser le recours à des traitements inefficaces et dispendieux, alors que lobjectif des essais est justement dempêcher que de tels traitements soient adoptés en pratique clinique.
Les chercheurs se sont intéressés à un médicament vedette, la prégabaline (Lyrica). Cet analgésique, lun des médicaments les plus vendus dans le monde, est largement utilisé « hors indication », cest-à-dire pour traiter des problèmes autres que ceux pour lesquels il a été approuvé par Santé Canada ou la FDA. Partant des dossiers de publication des essais sur la prégabaline, les chercheurs ont reconstitué la chronologie de la mise au point du médicament pour déterminer de quelles données les cliniciens et les rédacteurs de lignes directrices disposaient au moment de prendre des décisions thérapeutiques et de formuler leurs recommandations, et pour comprendre la façon dont les essais étaient coordonnés. Ils ont découvert quaprès lapprobation initiale de la prégabaline, les recherches semblent avoir mieux réussi à créer la perception de son efficacité hors indication quà prouver cette efficacité. Par exemple, les chercheurs ont relevé que près dune décennie après la publication dune petite étude portant à croire que la prégabaline pourrait être efficace pour traiter les patients atteints de douleur lombaire, aucun essai de suivi rigoureux et à grande échelle na encore été publié.
Le professeur Jonathan Kimmelman, directeur de lUnité déthique biomédicale de la Faculté de médecine de lUniversité McGill et auteur principal de létude, a eu lidée de réaliser cette étude après avoir vu le documentaire Marchands de doute. On y voit comment les cigarettiers, les pétrolières et lindustrie chimique ont manipulé la science pour semer le doute au sein des organismes de réglementation et du public au sujet de la relation entre leurs produits et la santé publique. Le Pr Kimmelman sest demandé si un processus analogue avait cours en médecine. Au lieu de semer le doute, a-t-il pensé, les compagnies pharmaceutiques pourraient vouloir donner limpression de lutilité de leurs médicaments dans des indications autres que celles pour lesquelles ils ont été approuvés. Le mécanisme quil a découvert avec son équipe est cependant plus complexe, puisque beaucoup des études incluses dans leur échantillon sont financées par des fonds publics, ou encore ne déclarent aucun financement de lindustrie. « Nous avons été surpris de découvrir que les problèmes observés proviennent en partie de chercheurs qui reçoivent un financement des organismes subventionnaires fédéraux et/ou de leurs propres centres médicaux », signale la première auteure de létude, Carole Federico, doctorante qui réalise ses recherches sous la direction du Pr Kimmelman.
« La mise au point dun médicament ressemble à une course à relais, où le premier coureur essaie de démontrer que le médicament pourrait possiblement fonctionner, et le deuxième prouve quil fonctionne vraiment », explique le Pr Kimmelman. « Ce modèle fonctionne très bien avant lapprobation du médicament, parce que les organismes de réglementation comme Santé Canada et la FDA empêchent les compagnies de mettre leur médicament en marché avant davoir terminé la course. En revanche, une fois le médicament approuvé, ce deuxième coureur échappe souvent le témoin lorsquil doit prouver lefficacité du médicament contre une autre maladie. Les médecins sont libres dutiliser le médicament hors indication, et les compagnies pharmaceutiques ne sont pas obligées de prouver lefficacité du médicament contre dautres maladies. Résultat : les essais qui portent sur de nouvelles indications de médicaments déjà approuvés encouragent souvent lutilisation de traitements potentiellement inefficaces. »
« Lusage hors indication des médicaments na rien de mauvais en soi », ne tarde pas à préciser Carole Federico. « En fait, pour de nombreux médicaments, lusage hors indication est solidement étayé par la recherche. Cependant, lorsque la prescription hors indication se fonde sur des données peu solides, les patients peuvent en souffrir puisquils prennent des médicaments inefficaces contre leur maladie. Cela peut aussi nuire aux systèmes de santé sils remboursent le coût de ces traitements inefficaces. »
« Nous tenons à souligner que la plupart, sinon tous les chercheurs sentendraient pour dire que les essais individuels compris dans notre échantillon ont été réalisés de façon raisonnable et éthique », ajoute le Pr Kimmelman. « Nous ne cherchons pas à condamner ces essais individuels. Nous proposons plutôt dobserver le portrait global de la situation lorsquon regarde la forêt dans son ensemble, les arbres semblent un peu moins en santé. »
Cette étude a été rendue possible grâce au financement des Instituts de recherche en santé du Canada et des bourses doctorales en recherche sur la douleur de la Fondation Louise et Alan Edwards.
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« Assessment of Pregabalin Postapproval Trials and the Suggestion of Efficacy for New Indications: A Systematic Review », par Carole Federico, Jonathan Kimmelman, et al., publié en ligne dans JAMA Internal Medicine, 26 novembre 2018. Article intégral.
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JAMA Internal Medicine