Depuis plus de 40 000 ans, des nappes glaciaires séparées par des milliers de kilomètres influent les unes sur les autres sous leffet dune variation du niveau de la mer. Cest ce que révèle une étude publiée aujourdhui dans Nature. Une équipe dirigée par des chercheurs de lUniversité McGill a réalisé une nouvelle modélisation de lévolution des nappes glaciaires au cours du plus récent cycle glaciaire. Létude jette un nouvel éclairage sur les mécanismes responsables des changements et offre des explications au sujet de profils géologiques obtenus récemment. Pour la première fois, on montre que les changements dans la nappe glaciaire de lAntarctique durant cette période étaient attribuables à la fonte des nappes glaciaires dans lhémisphère nord.
Au cours de la dernière glaciation, de leau est restée emprisonnée dans la glace terrestre lors de la chute de la température dans lhémisphère nord; sen est suivi une baisse du niveau de la mer en Antarctique et, conséquemment, une croissance de la nappe glaciaire. En revanche, pendant la déglaciation, la fonte des glaces dans lhémisphère nord a entraîné une augmentation du niveau de leau aux abords de lAntarctique et, par ricochet, un recul de la nappe glaciaire de lAntarctique.
« Malgré la grande distance qui les sépare, des nappes glaciaires influent lune sur lautre par lintermédiaire de leau qui circule entre elles », explique Natalya Gomez, auteure en chef de létude et professeure au Département des sciences de la Terre et des planètes de McGill. « Cest comme si elles se parlaient au moyen des variations du niveau de la mer. »
Des réponses dans les sédiments marins et les anciennes lignes de côte
« Les nappes glaciaires ne sont pas de gros amas de glace statiques : elles ont évolué au fil des âges et, soumises aux variations de la température et du niveau de leau environnante, elles se transforment constamment au gré de la formation et de la fonte des glaces, explique la Pre Gomez. La neige saccumule et se transforme en glace. Puis, sous leur propre poids, les nappes sétalent et se prolongent sur la mer, où elles forment des icebergs en se disloquant. »
Pour étudier les mécanismes responsables des changements dans la nappe glaciaire de lAntarctique au fil des temps géologiques, les chercheurs se sont appuyés sur des modélisations numériques et sur une vaste gamme de profils géologiques, obtenus notamment à partir de carottes de sédiments extraites du fond de locéan près de lAntarctique et de données sur lexposition des terres et sur les anciennes lignes de côte.
Grâce à cette information, et pour la première fois, les chercheurs ont fait des simulations simultanées de la variation du niveau de la mer et de la dynamique des glaces dans les deux hémisphères au cours des 40 000 dernières années. Ils ont ainsi pu étudier leffet des facteurs climatiques sur les nappes glaciaires depuis la période précédant lapogée du dernier âge glaciaire, il y a entre 26 000 et 20 000 ans, jusquà nos jours.
Un phénomène dynamique
Daprès les données recueillies, la nappe glaciaire de lAntarctique aurait connu des périodes intermittentes de recul accéléré et se serait beaucoup rétractée au cours de cette période. Les chercheurs ont découvert que seule une variation du niveau de la mer en Antarctique, causée par des changements dans les nappes glaciaires de lhémisphère nord, pourrait expliquer ce phénomène.
« Les icebergs qui se sont détachés de la nappe glaciaire de lAntarctique et qui ont fondu dans les océans voisins ont laissé des traces de pertes de masse glaciaire très variables au cours des 20 000 dernières années, précise Michael Weber, du Département de géochimie et de pétrologie de lUniversité de Bonn. Nous ne pouvions pas vraiment interpréter ces données à laide des modèles existants avant de prendre en compte les interactions entre les nappes glaciaires des deux hémisphères. »
« Cest un sujet fascinant et inspirant : les nappes glaciaires et les océans sont si vastes et complexes, et le profil géologique recèle bien des secrets sur le passé climatique de la Terre, conclut la Pre Gomez. Nos résultats montrent que les éléments du système terrestre sont interconnectés : des changements survenant en un endroit ont des répercussions à lautre bout de la planète. Dans lère moderne, nous navons pas constaté de recul des nappes glaciaires aussi important que ceux que pourrait nous réserver une planète qui se réchauffe. Nous pouvons en apprendre plus à ce sujet en étudiant les changements survenus dans le passé. »
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Larticle « Antarctic ice dynamics amplified by Northern Hemisphere sea level forcing », par N. Gomez et coll., a été publié dans Nature.
DOI: 10.1038/s41586-020-2916-2
Cette étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le Programme des chaires de recherche du Canada, la Fondation canadienne pour linnovation, la Fondation allemande pour la recherche et la NASA.
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