La consommation des ressources environnementales est régulée depuis des siècles, dans lobjectif den améliorer sans cesse la gestion et les comportements des acteurs privés et publics. Mais un ajout incessant de règles est-il réellement positif? Ou lexcès de règles provoque-t-il au contraire des dysfonctionnements et des télescopages? Pour répondre à ces questions, des chercheurs des universités de Genève (UNIGE) et de Lausanne (UNIL) ont analysé la régulation de la gouvernance de leau de six pays européens, de 1750 à 2006. Leurs résultats, publiés dans la revue Ecological Economics, démontrent que sur le long terme, des règles visant à améliorer la gestion des ressources finissent par entrer en conflit, provoquant autant deffets positifs que négatifs, jusquà la rupture du système. Une refonte de la gouvernance par lÉtat deviendrait alors la seule issue.
Cela fait des siècles que les sociétés produisent des règles visant à cadrer les comportements et les usages des ressources naturelles comme leau. Pourtant, les intérêts divergents des acteurs étatiques et privés continuent à engendrer des problèmes environnementaux. Globalement, la littérature scientifique saccorde à considérer que lévolution de la structure de ces règles est malgré tout de plus en plus positive et efficace. Mais jusquà quel point est-ce réellement le cas sur le long terme?
«Pour pouvoir évaluer si une règle est positive sur le long terme, il faut prendre en compte lécosystème de règles dans lequel elle sinscrit et quelle peut soit renforcer, soit au contraire perturber», explique Thomas Bolognesi, chercheur à lInstitut des sciences de lenvironnement (ISE) de lUNIGE. En effet, une règle induisant un impact positif sur lusage quelle régule peut générer des turbulences une fois entrée en interaction avec les règles préexistantes, créant des dysfonctionnements de lensemble du système, nommés coûts de transaction transversaux (CTT). «Et sur le très long terme, leffet négatif des CTT peut se renforcer et devenir équivalent à leffet positif généré par la nouvelle règle, créant un piège à complexité institutionnel», ajoute le scientifique genevois. La qualité de la gouvernance est donc construite par deux éléments principaux: létendue, soit lensemble des usages régulés par des règles (la quantité), et la cohérence, cest-à-dire le fait que les règles soient correctement définies et suivies (la qualité).
Les améliorations successives du système conduisent à un point de rupture
Pour vérifier leur hypothèse, Thomas Bolognesi et Stéphane Nahrath, professeur à lInstitut de hautes études en administration publiques(IDHEAP) de lUNIL, ont décortiqué les systèmes de gouvernance de leau de six pays européens (Suisse, Belgique, Espagne, France, Italie et Pays-Bas), de 1750 à 2006. «Lobjectif de cette étude est de déterminer si laugmentation de létendue des règles induit une réduction de la cohérence du système, jusquà supplanter les effets positifs voulus par ces ajouts de régulation», précise Stéphane Nahrath. Ils ont ainsi identifié trois phases distinctes que lon retrouve dans lévolution des six pays.
La première phase, qui dure de 1750 à 1850 et qui est suivi dune cinquantaine dannées de stagnation, concerne le lancement de la gouvernance, soit la production de règles cadres qui induisent encore relativement peu deffets. De 1900 à 1980, la gouvernance se développe et les règles, de plus en plus précises, produisent des effets positifs très forts. Mais depuis 1980, on entre dans une phase où leffet indirect négatif, lié à la perte de cohérence du système, se renforce et compense leffet positif précédent, jusquà le supplanter. «Ceci est dû à la création de règles à profusion, notamment suite à la mise en place du nouveau management public dans les années 80», relève Thomas Bolognesi. Cette multiplication de règles, qui parfois régulent un même objet mais pas de manière similaire, a un impact indirect négatif sur la gouvernance et amène une perte defficacité et de lisibilité, jusquau dysfonctionnement systémique. «Dès lors, pour obtenir un effet positif aussi mince soit-il, on doit produire toujours plus de règles, augmentant le risque de dysfonctionnement, tel un cercle vicieux», complète Stéphane Nahrath.
Une refonte du système par lEtat
Contrairement à lidée générale que la gouvernance de leau est en constante amélioration, létude des chercheurs lémaniques démontre au contraire les collisions provoquées par des ajouts perpétuels de règles visant à augmenter lefficacité du système. «Si nous continuons ainsi, nous allons droit au point de rupture, met en garde Thomas Bolognesi. Cest pourquoi il nous semble important que lÉtat et la politique reprennent la main sur les thèmes de gouvernance environnementale, afin déviter une production de règles autonomes qui génèrent des frictions et des incertitudes pouvant mener jusquà lémergence dobstacles insurmontables à la coordination du système.» «Les règles contractuelles ne doivent en aucun cas prendre le dessus sur les règles étatiques», conclut Stéphane Nahrath.
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Journal
Ecological Economics