Quarrive-t-il lorsquune nouvelle technologie est si précise quelle opère à une échelle pour laquelle on ne peut plus la caractériser? À titre dexemple, les lasers utilisés à lINRS produisent des impulsions ultrabrèves, de lordre de la femtoseconde (10 exp. -15 s), beaucoup trop courtes pour les visualiser. Si certaines mesures sont possibles, rien ne vaut une image claire, sest dit le professeur de lINRS Jinyang Liang, spécialiste en imagerie ultrarapide. Avec son équipe et ses collaborateurs au California Institute of Technology, il a développé ce quils ont appelé T-CUP : la caméra la plus rapide du monde, capable de saisir dix billions (10 exp. 13) dimages par seconde. Cette nouvelle caméra permet littéralement de suspendre le temps pour voir les phénomènes et même la lumière! au ralenti extrême.
Dans les dernières années, la jonction entre les innovations en optique non linéraire et en imagerie a laissé entrevoir de nouvelles méthodes très efficaces pour analyser par microscopie les phénomènes dynamiques en biologie et en physique. Mais pour pouvoir utiliser le potentiel de ces méthodes, il faut être en mesure denregistrer les images en temps réel à une résolution temporelle très courte. Et ceci en une seule exposition.
Or, les techniques dimagerie actuelles requièrent que les mesures prises à laide dimpulsions lasers ultrabrèves soient répétées à de nombreuses reprises, ce qui convient à certains types déchantillons inertes, mais qui est impossible pour dautres plus fragiles. Prenons un verre gravé au laser: il ne peut supporter quune seule impulsion laser, laissant moins dune picoseconde pour saisir ce qui en résulte. Dans un tel cas, la technique dimagerie doit capter lintégralité du processus en temps réel.
La photographie ultrarapide compressée (Compressed Ultrafast Photography, CUP) offrait un bon point de départ pour léquipe du professeur Liang. Cette méthode sapprochait des spécifications requises pour intégrer les lasers femtoseconde avec ses 100 milliards dimages par seconde sans les atteindre. Pour améliorer le concept, un système a été élaboré, basé sur une caméra à balayage femtoseconde et à image continue, intégrant également un type dacquisition de données utilisé dans des applications comme la tomographie.
« Nous savions quen utilisant uniquement une caméra à balayage femtoseconde, la qualité de limage serait limitée », explique le professeur Liang. « Alors, pour améliorer cela, nous avons ajouté une autre caméra qui acquiert une image statique. Combiné avec limage acquise par la caméra de balayage femtoseconde, nous pouvons utiliser ce quon appelle une transformation de Radon pour obtenir des images de haute qualité tout en enregistrant dix billions dimages par seconde. »
Établissant le record du monde de la vitesse dimagerie en temps réel, T-CUP peut alimenter une nouvelle génération de microscopes pour des applications biomédicales et en science des matériaux, par exemple. Dun point de vue fondamental, cette caméra ouvre la voie à lanalyse des interactions entre la lumière et la matière dans une résolution temporelle inégalée.
Dans sa première utilisation, la caméra ultrarapide a capté, en temps réel et pour la première fois, la focalisation temporelle dune seule impulsion laser femtosecondes. Ce processus a été enregistré en 25 images prises à 400 femtosecondes dintervalle et détaillant la forme, lintensité et le degré dinclinaison de limpulsion lumineuse.
« Cest en soit un exploit », reconnait Jinyang Liang, « mais nous voyons déjà des possibilités pour augmenter la vitesse jusquà un billiard (10 exp. 15) dimages par seconde! » À ces vitesses, les interactions entre la lumière et la matière dévoileront certainement des secrets jusquà présent indétectables.
"Single-shot Real-time Femtosecond Imaging of Temporal Focusing", Jinyang Liang, Liren Zhu, and Lihong V. Wang, Light: Science & Applications 7, 42 (2018).
"Single-shot ultrafast optical imaging", Jinyang Liang and Lihong V. Wang Optica 5(9), 1113-1127 (2018).
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