video: Un étirement du matériau se traduit par un changement de couleur. C’est le même mécanisme qui explique – en grande partie – comment les caméléons changent de couleur. view more
Credit: S.S. Sheiko
Les tissus biologiques ont des propriétés mécaniques complexes, difficiles à reproduire avec des matériaux de synthèse. Une équipe internationale a réussi à produire un matériau synthétique biocompatible qui se comporte comme les tissus biologiques et change de couleur en se déformant, comme la peau des caméléons. Ces résultats, auxquels ont contribué des chercheurs du CNRS, de lUniversité de Haute-Alsace(1) et de lESRF, le Synchrotron européen, avec des collègues des universités américaines de Caroline du Nord et dAkron, sont publiés le 30 mars 2018 dans la revue Science. Ils augurent de matériaux inédits pour des dispositifs biomédicaux.
Pour produire un implant médical, il est nécessaire de choisir un matériau aux propriétés mécaniques similaires à celles des tissus biologiques, au risque de provoquer inflammation ou nécrose. Or nombre de tissus dont la peau, la paroi intestinale ou le muscle cardiaque ont la particularité dêtre souples tout en durcissant quand on les étire. Jusquà présent, il était impossible de reproduire ce comportement avec des matériaux synthétiques.
Les chercheurs ont tenté de le faire avec un unique polymère(2). Pour cela, ils ont synthétisé un élastomère particulier composé dun bloc central sur lequel sont greffées des chaînes latérales (comme un goupillon), et prolongé à chaque extrémité par deux blocs terminaux (voir figure). Les chercheurs ont trouvé quen choisissant bien les paramètres structuraux du polymère, le matériau suivait la même courbe de déformation quun tissu biologique, en loccurrence la peau de porc. Par ailleurs, il est biocompatible puisquil ne nécessite pas dadditifs et reste stable en présence de fluides biologiques comme à lair libre.
Une autre propriété du matériau est apparue lors des expériences : sa couleur change en fonction de son état de déformation. Comme lont montré les scientifiques, cest un phénomène purement physique, qui naît de linteraction de la lumière avec la structure du matériau. Des observations en microscopie à force atomique et des expériences de diffusion de rayons X ont montré que les blocs terminaux de ces polymères se rassemblent en sphères nanométriques, réparties dans une matrice formée par les structures en goupillon. La lumière interfère avec cette architecture, qui diffuse une couleur donnée selon la distance entre les sphères ; un étirement du matériau se traduit donc par un changement de couleur. Cest le même mécanisme qui explique en grande partie comment les caméléons changent de couleur.
Les chercheurs ont donc réussi à encoder dans un unique polymère synthétique à la fois des propriétés mécaniques (souplesse, profil de déformation) et des propriétés optiques, ce qui navait encore jamais été réalisé. En ajustant la longueur des différentes chaînes ou la densité des chaînes latérales de la « brosse », il est possible de moduler ces propriétés. Cette découverte pourrait déboucher sur des implants médicaux ou prothèses plus personnalisés (implants vasculaires, implants intraoculaires, remplacement de disques intervertébraux), mais aussi sur des matériaux aux profils de déformation complètement inédits, aux applications encore insoupçonnées.
(1) À lInstitut de sciences des matériaux de Mulhouse (CNRS/UHA) et au Laboratoire de physique et mécanique textiles (UHA).
(2) Les tissus biologiques, eux, sont composés de cellules et de molécules comme, dans le cas de la peau, le collagène, rigide, et lélastine, flexible.
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