News Release

La prescription de médicaments psychotropes : progrès thérapeutiques ou effets de mode?

Johanne Collin réalise une généalogie des pratiques de prescription des médecins dans le domaine de la santé mentale

Peer-Reviewed Publication

University of Montreal

Ce communiqué est disponible en anglais.

MONTRÉAL, le 12 novembre 2014 - On constate aujourd'hui, en Amérique du Nord, que les médicaments psychotropes tels que les antidépresseurs, les psychostimulants, les anxiolytiques et les antipsychotiques sont de plus en plus prescrits. Selon la sociologue et historienne Johanne Collin, professeure à la Faculté de pharmacie de l'Université de Montréal, cette hausse de la prescription s'explique en partie par les raisonnements des médecins. Dans un récent article, elle établit un parallèle entre les dilemmes auxquels la médecine faisait face au XIXe siècle et ceux qui ont cours dans le champ de la santé mentale.

« On observe une augmentation du nombre de personnes qui reçoivent une ordonnance de médicaments psychotropes ainsi qu'une propension de plus en plus importante à prescrire plusieurs médicaments psychotropes à un même patient. De plus en plus d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes sont sous médication psychotrope, et se voient de plus en plus souvent prescrire plus d'un médicament psychotrope à la fois », indique Mme Collin. Ce phénomène est-il attribuable à un manque de connaissance des médecins sur les médicaments? À l'influence exercée par l'industrie pharmaceutique, ou bien encore à la demande des patients qui veulent obtenir une ordonnance? S'agit-il d'un effet de modes lorsque de nouveaux médicaments sont mis sur le marché? « Si tous ces facteurs externes ne sont pas à exclure pour expliquer la hausse de la prescription, il faut également prendre en compte les raisonnements des médecins, car ces derniers ne prescrivent pas simplement sous l'influence de facteurs extérieurs », poursuit-elle.

À partir d'une généalogie des pratiques de prescription des médecins dans le domaine de la santé mentale, la chercheuse montre qu'on retrouve aujourd'hui les tensions qui existaient déjà au XIXe siècle dans le raisonnement clinique, entre la prise en compte de la spécificité du patient et l'universalisme de la maladie et des traitements.

Elle rappelle ainsi que, pendant une bonne partie du XIXe siècle, les médecins fondaient leur approche diagnostique et thérapeutique sur la spécificité du patient et non sur celle de la maladie. En d'autres termes, ils considéraient que le patient était unique, quelle que soit sa maladie et que son traitement devait en conséquence être élaboré « sur mesure ». Pour Mme Collin, le parallèle est frappant avec la psychiatrie depuis le milieu du XXe siècle. « L'approche psychanalytique qui dominait alors postulait que ce qui se passait dans la tête des patients devait être abordé en fonction de la spécificité et du vécu de la personne. La psychiatrie était alors dominée par le primat de la spécificité du patient. Avec l'essor de la psychopharmacologie moderne dans les années 1950 et la découverte des premiers antidépresseurs et antipsychotiques, on considèrera progressivement que ce qui se passe dans le cerveau est physique et biologique; passant ainsi de la spécificité du patient à celle de la maladie mentale, quels que soient le patient et les circonstances du déclenchement et de l'évolution de sa maladie. C'est le primat de l'universalisme de la maladie mentale et de la standardisation des diagnostics et des traitements médicamenteux qui devient dominant en santé mentale.», indique-t-elle.

Concernant le traitement de la dépression aujourd'hui, Mme Collin note qu'environ 80% des antidépresseurs sont prescrits par les médecins de famille. Selon elle, leur processus de raisonnement ressemble à la façon dont leurs confrères abordaient leur patient au XIXe siècle, prenant avant tout en compte la perception qu'ils ont de leur patient, de leur vécu, de leur spécificité. « On est devant un phénomène de société où des gens se présentent chez le médecin car ils ne vont pas bien pour toutes sortes de raison, mais il n'est bien souvent pas question de maladie mentale. Les médecins procèdent alors par essai-erreur et ils ont devant eux un outil qui pourrait peut-être fonctionner, l'antidépresseur, qui devient une sorte de panacée. L'accroissement de la prescription tient en partie à ça », indique Mme Collin.

Les psychiatres gèrent, quant à eux, des troubles plus complexes, comme l'autisme. Bien que dans ce cas, les pratiques de prescription soient basées sur un raisonnement clinique complexe, Johanne Collin montre que leurs stratégies thérapeutiques sont dirigées contre des symptômes spécifiques et non pas contre les maladies mentales en tant qu'entités distinctes. « Comme c'est le cas en médecine à la fin du XIXe siècle, ils prescrivent à la pièce, tentent de calibrer et de contrer un ensemble de symptômes physiques avec un ensemble de médicaments » explique la chercheuse.

Mme Collin met en avant une forte tension entre la réalité de la pratique des médecins et psychiatres, et une demande de standardisation, symbolisée par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder (DSM). Le DSM constitue une nomenclature des problèmes de santé mentale en établissant des critères à partir desquels les problèmes de santé mentale peuvent être diagnostiqués. Depuis 1980, les éditions successives du DSM évacuent la prise en compte du vécu du patient dans l'établissement du diagnostic et abaissent les critères et les seuils à partir desquels on considère qu'une personne est atteinte d'un problème de santé mentale.

« D'un côté, on est dans une ramification sans fin avec le DSM qui vise à standardiser les pratiques diagnostiques et thérapeutiques et, de l'autre, on est devant un patient entier. Ce qui disent les médecins, c'est que le DSM ne correspond pas à la vraie pratique. Ils sont pris en tension entre ce désir de considérer le patient comme un individu spécifique, pour lui trouver un traitement sur mesure, et la nécessité d'avoir des pratiques standardisées, explique Mme Collin. Il semble bien que le souhait d'avoir une psychiatrie fondée sur une sorte d'universalisme soit éloigné de la réalité des médecins et psychiatres, qui insistent sur la nécessité d'une approche globale articulant les dimensions bio-psycho-sociales du patient », conclut-elle.

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