Le choc anaphylactique, réaction allergique exacerbée pouvant entrainer la mort, peut être causé notamment par lusage de médicaments lors dune opération chirurgicale. Dans la plupart de ces réactions extrêmes, on peut constater chez les patients des signes d'activation cellulaire par des anticorps de type IgE. Cependant 10 à 20% des chocs anaphylactiques ne présentent aucun signe de lactivation de cette voie IgE-dépendante. Des équipes de lInstitut Pasteur, de lInserm, de lAP-HP, du CNRS, de luniversité Paris-Sud et Sorbonne université sont parvenus à identifier un nouveau mécanisme daction responsable de ces chocs jusquà présent inexpliqués, impliquant des polynucléaires neutrophiles activés par des anticorps de type IgG. Ces résultats, publiés le 10 juillet dans la revue Science Translational Medicine, permettront une meilleure prise en charge du diagnostic des patients qui ont subi ce type de choc.
Lanaphylaxie est une réaction allergique hyper-aiguë. Elle est le résultat dune réaction immunitaire inappropriée suite à lintroduction dans lorganisme dun antigène habituellement inoffensif. La fixation de cet antigène à des anticorps préexistants dans l'organisme déclenche la sécrétion massive de puissants médiateurs vasodilatateurs, ce qui provoque un état de choc pouvant entrainer une défaillance de plusieurs organes, voire la mort.
Lanaphylaxie peut être induite par de nombreuses substances : les médicaments (antibiotiques, curares), les aliments, ou encore les venins dinsectes. Dans cette étude, les scientifiques se sont concentrés sur les réactions allergiques aux curares, médicaments utilisés durant les anesthésies générales pour provoquer un relâchement musculaire. La fréquence dapparition de choc anaphylactique aux curares est dun cas pour 10 000 à 20 000 opérations, ce qui représente environ 3 à 5 chocs par semaine sur la région parisienne.
Sil était déjà connu que les anticorps IgE pouvaient déclencher l'anaphylaxie, des équipes de lInstitut Pasteur, de lInserm, de lAP-HP, du CNRS, de luniversité Paris-Sud et de Sorbonne université, ont montré dans une étude clinique que les anticorps IgG peuvent aussi être impliqués dans certains chocs anaphylactiques. Ce rôle inattendu des anticorps IgG avait déjà été identifié chez la souris en 2011 par une partie des mêmes auteurs [1].
Cette étude multicentrique appelée « NASA » a été réalisée depuis 2012 par un consortium de chercheurs, biologistes médicaux et médecins anesthésistes et portée par lhôpital Bichat AP-HP. Le consortium a suivi 86 patients ayant présenté un choc anaphylactique péri-opératoire et 86 témoins, dans 11 hôpitaux dIle-de-France sous la coordination à lhôpital Bichat AP-HP du Pr Sylvie Chollet-Martin (Université Paris-Sud), immunologiste, et du Pr Dan Longrois, anesthésiste. Des prélèvements sanguins ont été effectués au moment de lapparition du choc anaphylactique au bloc opératoire, qui ont permis d'identifier ce mécanisme alternatif, dépendant des IgG. Les chercheurs ont en particulier démontré que les anticorps IgG activent les neutrophiles (70-80% de nos globules blancs) qui libèrent des médiateurs vasodilatateurs néfastes à forte dose. Cette activation des neutrophiles était plus importante au cours des chocs sévères quau cours des chocs d'intensité modérée. De manière intéressante, limplication de la voie IgG-neutrophiles était également évidente dans des chocs où le mécanisme classique IgE-dépendant était observé, suggérant que les IgG et les neutrophiles pourraient contribuer à la sévérité de la majorité des chocs, par un effet additif.
« Ces résultats permettent délucider 10 à 20% des chocs anaphylactiques qui étaient jusquà présent sans explication biologique. Ils seront dune aide précieuse pour affiner le diagnostic de ces patients, et pour éviter à lavenir de nouveaux contacts avec le médicament qui a été à lorigine de la réaction allergique » explique le Pr Sylvie Chollet-Martin (Université Paris-Sud), co-dernière auteure de létude et responsable du laboratoire d'Immunologie « Auto-immunité et Hypersensibilités » à l'Hôpital Bichat AP-HP.
« Alors que les anticorps IgG sont connus pour être des protecteurs de lorganisme face aux infections, et des agresseurs dans certaines maladies auto-immunes, grâce à cette étude on constate quils peuvent être impliqués dans une nouvelle réaction néfaste pour lorganisme, lanaphylaxie. Nous sommes déjà en train dexplorer expérimentalement comment bloquer cette nouvelle voie dactivation des anticorps IgG afin de proposer une solution thérapeutique » commente Pierre Bruhns, co-dernier auteur de létude, directeur de recherche Inserm et responsable de lunité Anticorps en thérapie et pathologie à lInstitut Pasteur.
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Ces travaux ont été financés par les organismes cités dans le premier paragraphe, ainsi que par lEuropean Research Council (ERC FP7 ; projet MyeloSHOCK).
[1] Mouse and Human Neutrophils induce Anaphylaxis, the Journal of Clinical Investigation, 23 mars 2011. doi: 10.1172/JCI45232
Journal
Science Translational Medicine