Comment le souvenir traumatique des attentats du 13 novembre 2015 évolue-t-il dans les mémoires individuelles et la mémoire collective ? Comment ces mémoires individuelles se nourrissent-elles de la mémoire collective, et inversement ? Peut-on prédire, par létude des marqueurs cérébraux, quelles victimes développeront un état de stress post-traumatique, et lesquelles se remettront plus facilement ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles tentera de répondre lambitieux programme « 13-Novembre », porté par le CNRS, lInserm et héSam Université, avec la collaboration de nombreux partenaires. Codirigé par lhistorien Denis Peschanski et le neuropsychologue Francis Eustache, ce programme de recherche transdisciplinaire est fondé sur le recueil et lanalyse de témoignages de 1000 personnes volontaires interrogées à quatre reprises en dix ans. Mobilisant plusieurs centaines de professionnels, ce programme est une première mondiale par son ampleur, le nombre de disciplines associées et le protocole établi. Des retombées sont attendues dans les domaines socio-historique et biomédical, mais aussi du droit et des politiques publiques ou de la santé publique.
Suite à lappel lancé par Alain Fuchs, président du CNRS[1] en novembre dernier, la communauté des chercheurs se mobilise pour répondre aux questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences. Elaboré dans la foulée de cet appel à projets, « 13-Novembre » est un programme transdisciplinaire qui se déroulera sur 12 ans. Porté par le CNRS et lInserm, en lien avec héSam Université, il a pour objectif détudier la construction et lévolution de la mémoire après les attentats du 13 novembre 2015, mais aussi larticulation entre mémoire individuelle et mémoire collective. « La vocation du CNRS sexprime pleinement dans le projet 13 novembre : soutenir deux scientifiques qui vont eux-mêmes orchestrer des études mobilisant 150 chercheur-e-s issues de disciplines différentes dans un programme de long terme et dune ambition inégalée », estime Alain Fuchs, président du CNRS. « LInserm sest engagé dès le début pour faire aboutir le projet. Il associe les sciences humaines et sociales et les avancées les plus récentes des neurosciences. Il sagit dun projet interdisciplinaire, ambitieux qui répondra à des questions que nous nous posons tous. Jai considéré que cela relevait des missions de deux organismes comme lInserm et le CNRS », indique Yves Lévy, PDG de lInserm.
1000 personnes suivies pendant dix ans
Les témoignages de 1000 personnes volontaires seront recueillis et analysés. Certaines ont vécu le drame au plus près des survivants, leur entourage, des policiers, militaires, pompiers, médecins et aidants qui sont intervenus. Dautres ont été touchées indirectement : des habitants et usagers des quartiers touchés ; des personnes vivant aux abords de Paris ; et enfin, des habitants de plusieurs villes de France, dont Caen et Metz.
Cette étude est inédite par son ampleur : les 1000 participants seront suivis pendant 10 ans au cours de quatre campagnes dentretiens filmés (en 2016, 2018, 2021 et 2026), grâce au concours de lINA (chargé des captations parisiennes) et de lECPAD[2] (pour les entretiens en région). Sa conception est également sans précédent : les guides dentretiens ont été construits en commun par des historiens, des sociologues, des psychologues, des psychopathologues et des neuroscientifiques, afin que le matériel recueilli soit utilisable par chacune de ces disciplines. À ce jour, il ny a pas détude équivalente dans le monde.
Les témoignages individuels seront mis en perspective avec la mémoire collective telle quelle se construit au fil des années : les journaux télévisés et radiodiffusés, les articles de presse, les réactions sur les réseaux sociaux, les textes et les images des commémorations autant de documents conservés par lINA et analysés par ses équipes de recherches, en lien avec dautres laboratoires. Un partenariat avec le Crédoc[3] permettra en outre de prendre le pouls de lopinion aux dates des campagnes dentretiens. Onze questions spécifiques sont ainsi incluses dans le traditionnel questionnaire semestriel du Crédoc en juin et juillet 2016.
Une étude biomédicale, intitulée « Remember », dont lInserm est promoteur, portera sur 180 des 1000 personnes : 120 personnes directement touchées par les attentats, souffrant ou non dun état de stress post-traumatique, et 60 personnes habitant Caen. Grâce à des entretiens et à des IRM cérébrales, passés à la même fréquence que les entretiens filmés, il sagira de mieux comprendre limpact des chocs traumatiques sur la mémoire (notamment la résurgence incontrôlable de certaines images et pensées, caractéristique de létat de stress post-traumatique), et didentifier des marqueurs cérébraux associés à la résilience au traumatisme. Le tout, bien sûr, sans réexposer les personnes à des images et pensées traumatiques.
En parallèle, létude « ESPA » (étude de santé publique post-attentats) est lancée par Santé publique France[4] en collaboration avec le programme « 13-Novembre ». Celle-ci vise à analyser, par le biais dun web questionnaire, limpact psychotraumatique des attentats sur les personnes directement exposées, mais également la validité des circuits de soins.
Une étude transdisciplinaire et un engagement citoyen
Lintérêt de ce programme est majeur pour toutes les disciplines scientifiques qui y sont représentées. Lhistorien ou le sociologue essaieront de comprendre comment se co-construisent témoignage individuel et mémoire collective. Le linguiste mesurera lévolution du vocabulaire et des constructions syntaxiques. Le neuropsychologue sintéressera aux mécanismes de consolidation et reconsolidation de la mémoire et à son fonctionnement, différent selon que lon a vécu lévénement lui-même ou que lon se remémore les conditions dans lesquelles on a appris lévénement. Le neuroscientifique travaillera quant à lui sur les modifications des représentations mentales, létat de stress post traumatique ou la possibilité dévacuer le souvenir douloureux. Le psychopathologue sattachera aux conséquences des attentats sur les représentations de soi, aux mécanismes de défense ou aux relations à la destructivité. En outre, le programme 13-Novembre aura des retombées dans le domaine des politiques pénales, des politiques de prise en charge des victimes, de gestion de crise et de pratiques mémorielles Les entretiens filmés auront aussi une valeur patrimoniale : il sagit également de conserver et de transmettre la mémoire des attentats du 13 novembre. Cest une forme dengagement citoyen de la part de la communauté scientifique comme des professionnels de lINA et de lECPAD en charge des captations des entretiens, de la description documentaire, de la mise à disposition des chercheurs et de larchivage pérenne de cette mémoire.
Ce programme transpose au cas des attentats certains des concepts et des méthodologies transdisciplinaires développés par Denis Peschanski et Francis Eustache autour de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale et du 11-Septembre dans le cadre de léquipement dexcellence Matrice porté par héSam Université et dont lINA est déjà partenaire. Pour les deux chercheurs, il est impossible de comprendre pleinement la mémoire collective sans prendre en compte les dynamiques cérébrales de la mémoire ; de même, on ne peut comprendre pleinement ces dynamiques cérébrales sans prendre en compte lapport des déterminants sociaux. Les chercheurs sinspirent aussi de létude par questionnaires papier menée par le psychologue américain William Hirst, une semaine, quelques mois et quelques années après les attentats du 11 septembre 2001. Il est dailleurs prévu une analyse comparée des résultats de ces deux études.
Appel à volontaires
Que vous ayez été témoin ou intervenant lors des attentats, que vous soyez résident ou usager des quartiers touchés, ou simplement habitant de Paris et sa banlieue, les chercheurs ont besoin de vous.
Si vous souhaitez participer et apporter votre témoignage dans le cadre du programme 13-Novembre, contactez léquipe de médiateurs du programme :
- par téléphone : 06 60 98 53 82 / 06 61 19 10 32
- par email : memoire13novembre@matricememory.fr
Une permanence est déjà tenue dans les locaux de la mairie du 11e arrondissement de Paris (place Léon Blum, 75011 Paris). Horaires : le lundi et le vendredi de 8h30 à 17h (sauf le 3e vendredi du mois de 8h30 à 14h).
Des partenaires et soutiens multiples
Létude « 13-Novembre » a démarré le 13 mai à Caen et le 2 juin à Bry-sur-Marne pour les entretiens filmés, et létude biomédicale Remember a débuté le 7 juin au sein de la plateforme dimagerie biomédicale « Cyceron » à Caen, et en lien avec Normandie Université. Lappel à volontaires est en cours, relayé notamment par le quotidien Le Parisien-Aujourdhui en France (via son journal et son site web). Les premiers résultats devraient être livrés à lautomne 2017. Les résultats finaux sont attendus pour 2028, deux ans après les derniers entretiens.
Porté par le CNRS et lInserm pour le volet scientifique, par héSam Université pour le volet administratif, le programme « 13-Novembre » est financé par lAgence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du Programme Investissements dAvenir (PIA).
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