Quand les premiers antibiotiques ont été découverts au début du XXe siècle, la mortalité due aux maladies infectieuses a drastiquement diminué. Mais lémergence de bactéries multi résistantes, causée par le mésusage des antibiotiques, fait craindre que, dici à 2050, ces mêmes maladies redeviennent la première cause de mortalité dans le monde. Pour compléter larsenal face à cette menace, des chercheurs de lInstitut Pasteur, du CNRS et de de lUniversidad Politécnica de Madrid sont parvenus à programmer une structure génétique bactérienne, la rendant capable de tuer spécifiquement les bactéries multi résistantes aux antibiotiques, sans détruire les bactéries bénéfiques à lorganisme. Ce nouvel outil, contrairement à dautres approches en développement, est associé à un taux minime dapparition de nouvelles résistances. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature Biotechnology, le 15 avril 2019.
La découverte des antibiotiques dans les années 1930 a permis des avancées médicales et sociétales sans précédent. Cependant, des mécanismes de résistance des bactéries émergent depuis une vingtaine dannées et se répandent à léchelle mondiale. Peu de nouveaux antibiotiques sont développés et le laps de temps, entre lintroduction dun traitement et la résistance qui sen suit, est de plus en plus court. La résistance menace notre capacité à traiter les maladies infectieuses, entraînant des invalidités et des décès.
Lors de lutilisation dun traitement antibiotique, les molécules thérapeutiques sen prennent à lensemble des bactéries présentes dans le microbiote. Cette destruction non-ciblée entraîne une dysbiose, cest-à-dire une perturbation de léquilibre de lécosystème bactérien, pouvant provoquer lapparition de bactéries dites opportunistes, ou la résistance à lantibiotique utilisé. Pour prévenir leffet délétère des dysbioses, lenjeu est de développer des stratégies antimicrobiennes hautement spécifiques. Par exemple, lutilisation de loutil CRISPR-CAS 9 permet de cibler chez les bactéries pathogènes les gènes de résistance, mais le taux déchappement de la technique (cest-à-dire quand le pathogène parvient à échapper aux différents mécanismes de défense mis en place par lorganisme infecté) reste relativement élevé.
Dans cette étude, une équipe scientifique dirigée par Didier Mazel, chercheur à lInstitut Pasteur, a mis au point une stratégie alternative basée sur lexpression spécifique de toxines extrêmement puissantes délivrées par conjugaison. La conjugaison est la capacité des bactéries à s'échanger des gènes, grâce aux plasmides, des molécules dADN spécifiques aux génomes bactériens. Dans cette nouvelle stratégie, le gène codant pour la toxine est donc à lintérieur du plasmide. « Lutilisation des toxines issues du système « toxine-antitoxine de type II », nous a paru judicieuse, car il savère que les bactéries ne développent pas de phénomène de résistance face à cet arsenal. En revanche, lun des défis de cette méthode est de maitriser lextrême puissance des toxines. Afin de contrôler ces toxines, nous avons séparé leurs gènes en deux fragments. Ainsi, nous nous assurions quelles ne seraient efficaces quen présence des deux morceaux recombinés » explique Didier Mazel, principal auteur de létude.
Les chercheurs ont vérifié la spécificité de cette toxine chez Vibrio cholerae, une bactérie marine qui a pour hôtes naturels certains poissons et crustacés. « Nous avons dabord cherché à faire exprimer la toxine chez Vibrio cholerae, grâce à un promoteur (région de lADN indispensable à la transcription) spécifiquement reconnu par cette bactérie qui exprime le complexe de la toxine et lactive » poursuit Didier Mazel. Puis, ils ont affiné encore plus cette arme pour que la toxine puisse cibler uniquement les souches de Vibrio cholerae résistantes aux antibiotiques. Pour ce faire, les scientifiques ont créé un module génétique exprimant un inhibiteur hautement spécifique de la toxine, une antitoxine, qui séteint lorsque la bactérie contient des gènes de résistances. En conjuguant ces deux procédés, ils ont ainsi mis au point une structure génétique dont lefficacité a été vérifiée in vivo dans les communautés complexes naturelles de bactéries du microbiote chez le poisson zèbre et lartémie.
« Le niveau d'échappement de cette stratégie alternative est très faible. Elle peut maintenant facilement être adaptée à la destruction spécifique de nombreux autres pathogènes. Nous devons maintenant améliorer le processus de délivrance du gène par le plasmide » conclut Didier Mazel.
Loutil génétique conçu par Didier Mazel et son équipe ainsi que ses applications ont fait lobjet dune demande de brevet déposée par lInstitut Pasteur et le Centre National de la Recherche Scientifique. Cette demande de brevet européen EP18306780 a été déposée le 20 décembre 2018 et sintitule Intein mediated protein splicing system for controlled expression of proteins Use in the expression of toxins in target cells.
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Outre les organismes cités dans le premier paragraphe, ces travaux ont pu bénéficier du financement du projet européen Future and Emerging Technologies (H2020), du Labex Ibeid, et de la FRM (Fondation pour la recherche médicale).
Une vidéo expliquant ces travaux de recherche est accessible ici : https://www.youtube.com/watch?v=dLYL1rNXBX0
Journal
Nature Biotechnology