Chaoborus spp est une espèce de petite mouche que lon trouve partout dans le monde, sauf en Antarctique. Lors de son cycle de vie, elle passe entre un à deux ans sous leau à létat larvaire, dans des lacs de moins de 70 mètres de profondeur. Durant cette période, la larve passe ses journées dans les sédiments du fond du lac, et remonte la nuit à la surface pour se nourrir. Afin deffectuer ses aller-retour, elle possède des sacs dair quelle module en fonction du déplacement désiré. Des scientifiques de lUniversité de Genève (UNIGE), en collaboration avec lIGB à Berlin, Swansea University et Potsdam University, ont découvert que Chaoborus spp utilise également le méthane quelle trouve dans les fonds des lacs pour laider dans ses déplacements, le relâchant ensuite dans les eaux de surface, augmentant les chances de ce gaz de rejoindre latmosphère. Cette recherche, à lire dans la revue Scientific Reports, démontre ainsi le rôle négatif joué par ces larves dans le réchauffement climatique, mais aussi dans la perturbation des couches sédimentaires des fonds lacustres.
Le cycle de vie de la petite mouche Chaoborus spp est déjà connu depuis presquun siècle. Les scientifiques de lépoque ont découvert quau stade larvaire, le plus long de son cycle, la larve possède des petits sacs dair, les vésicules, qui lui permettent de naviguer entre la surface du lac, où elle se nourrit, et les sédiments des fonds lacustres, lieux où elle se protège des prédateurs et de la chaleur durant la journée. Elle est ainsi capable de gonfler ses poches dair pour remonter à la surface, ou au contraire de les compresser pour redescendre, ajustant ainsi sa position dans leau. Toutefois, à 70 mètres de profondeur, il lui est impossible de regonfler ses vésicules à cause de la pression quexerce leau sur elle. Dès lors, comment y parvient-elle ? Cest la question que sest posée léquipe du Professeur Daniel McGinnis, du Département F.-A. Forel de la Faculté des sciences de lUNIGE, en collaboration avec lIGB à Berlin, Swansea University et Potsdam University.
«Le méthane est un gaz peu soluble dans leau. Nous savons que dans les sédiments anoxiques, cest-à-dire sans oxygène, le méthane sy trouve en très grande quantité, surpasse la capacité de dissolution dans leau et forme des petites bulles. Nous avons donc supposé que les larves de Chaoborus spp absorbaient les bulles dexcès de gaz afin de pouvoir regonfler leurs vésicules, malgré la pression de leau, et remonter à la surface», explique Daniel McGinnis. Et effectivement, ils ont découvert que le méthane, préférant lair à leau, se glisse naturellement dans les sacs de gaz de la larve, lui permettant dès lors de les regonfler et de rejoindre la surface sans effort. Grâce à cet ingénieux système d «ascenseur» gonflable, Chaoborus spp économise jusquà 80% de lénergie quelle dépenserait si elle devait nager. Elle a donc besoin de moins de nourriture et peut ainsi élargir son habitat.
Les larves de Chaoborus spp, contributrices de leffet de serre
Les scientifiques ont ensuite voulu savoir ce que faisaient les larves du méthane emmagasiné. «Nous avons dabord placé les larves dans un espace contenant de leau riche en méthane, puis nous les avons déplacées dans de leau pauvre en méthane. Après avoir effectué des mesures, nous avons constaté que le taux de méthane augmentait proportionnellement à la quantité de larves présentes. Celles-ci relâchent donc une grande partie de ce gaz dans lair une fois parvenues à la surface», constate Daniel McGinnis. Leau douce contribue à 20% des émissions naturelles de méthane et celui-ci absorbe 28 fois plus de chaleur que le CO2, cest dire son importance sur leffet de serre. Normalement, le méthane est isolé dans les sédiments des lacs et y reste stocké. Mais les larves de Chaoborus spp le sortent de cet espace et augmente ses chances daccéder à latmosphère. Elles contribueraient ainsi en quelque sorte au réchauffement climatique.
Dès lors que faire ? «Les larves de Chaoborus spp, dont la densité varie de 2000 à 130000 individus par m2, ne sont présentes que lorsque leau est de mauvaise qualité, cest-à-dire lorsquelle contient trop de nutriments. Il faut donc améliorer la qualité de leau et cela passe par un meilleur contrôle de lagriculture et du traitement des eaux usées», ajoute Daniel McGinnis. De plus, en remontant des particules de sédiments, les larves permettent aussi à certains polluants de rejoindre la surface.
Un obstacle à létude des sédiments lacustres
Sur un autre plan, la présence de ces larves a démontré un autre «effet néfaste». La paléolimnologie est létude de leau à travers les âges. Elle se fonde sur lanalyse des diverses couches de sédiments de nos plans deau qui, par stries, permettent aux scientifiques danalyser les différents états des eaux au fil des siècles. Mais pour que cela soit possible, il faut que les sédiments puissent se déposer et se solidifier au fond des lacs, sans dérangement. Or à nouveau, les larves de Chaoborus spp viennent bouleverser ces analyses en brassant les diverses couches de sédiments lorsquelles se terrent pour la journée. Les scientifiques ne disposent dès lors plus de stries fiables pour les analyses. «En somme, bien quelle soit passionnante à étudier, la présence de Chaoborus spp est toujours mauvais signe pour la santé de lécosystème, , mais elle nous donne une raison de plus de veiller sur la bonne qualité de leau de nos lacs», conclut Daniel McGinnis.
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Scientific Reports