image: Heat island mapping (night temperatures in November). Cases of dengue fever in winter are localised in the warmer areas of the city. view more
Credit: © Olivier Telle/CSH/CNRS
Et si une planification urbaine plus intégratrice des populations déshéritées était lune des clés pour lutter contre la dengue ? Cest ce que montrent, à travers une approche géographique appliquée à la métropole de Delhi (Inde), des chercheurs et chercheuses du CNRS, de lInstitut Pasteur et de lIndian Council of Medical Research (1). Leur étude est publiée dans la revue PLOS Neglected Tropical Disease le 11 février 2021.
Maladie virale sans traitement spécifique ni vaccin, la dengue menace potentiellement 3,5 milliards de personnes à ce jour un nombre qui pourrait augmenter avec lurbanisation des zones tropicales et le réchauffement climatique. En effet, les moustiques tigres vecteurs de la maladie sont particulièrement bien adaptés aux milieux urbains et leur aire de répartition sétend de plus en plus en direction des régions tempérées.
Depuis 1996, Delhi est touchée chaque année par une épidémie de dengue entre juillet et novembre. Pour savoir où et comment agir pour mieux combattre ces épidémies, une équipe associant géographes, virologues, entomologistes et épidémiologistes a étudié leur propagation à léchelle de cette métropole de 16,7 millions dhabitants. Les scientifiques ont ciblé 18 quartiers de Delhi pour lesquels ils ont mesuré labondance des larves de moustiques, et recherché la présence danticorps (signe dune infection passée) chez une partie des habitants. En combinant ces données de terrain aux cas repérés dans les hôpitaux, ils ont pu mettre en avant le rôle des facteurs sociaux et environnementaux dans la diffusion de cette maladie émergente.
Premier résultat : malgré une densité de moustiques plus faible, les quartiers riches sont presque aussi touchés par la dengue que les quartiers défavorisés, et davantage que les quartiers au statut socio-économique intermédiaire. Les scientifiques expliquent ce paradoxe par limportance prise par les mobilités journalières dans la ville : quartiers favorisés et défavorisés sont dorénavant hyper connectés et partagent tout autant les espaces de vie que les virus. Deuxième enseignement : le manque daccès à leau courante est le facteur de risque majeur dinfection par le virus de la dengue, plus que la pauvreté même si les deux sont souvent associés.
En effet, les rares cas hivernaux de dengue sont recensés dans les quartiers à la fois défavorisés et densément peuplés. Le manque deau courante oblige les habitants à y stocker leau dans des réservoirs qui constituent des lieux de ponte privilégiés pour les moustiques. Et la forte densité de ces types de quartiers crée des îlots de chaleur. La température y atteint en effet jusquà 15°C en janvier (10°C de plus que dans les zones moins denses) permettant aux moustiques de survivre à lhiver et de continuer à propager localement le virus.
En somme, si les déplacements semblent expliquer la diffusion du virus pendant les épidémies, les déterminants sociaux jouent un rôle prépondérant dans lancrage du virus à Delhi, puisque le virus continue à circuler à bas bruit lhiver dans les quartiers denses au faible accès à leau. Améliorer laccès à leau dans ces quartiers devrait donc permettre datténuer lépidémie dans toute la métropole, et pour tous ses habitants. Limiter les îlots de chaleur, ou du moins y concentrer la lutte anti-moustique en période hivernale, affaiblirait également le réservoir qui alimente lépidémie chaque année. La planification urbaine pourrait ainsi être un instrument de lutte contre la dengue et plus globalement un levier majeur pour améliorer la santé de tous. Il sagit là dun concept utilisé bien avant la vaccination, et qui a permis au 19e siècle de contrôler les épidémies de choléra dans les villes européennes.
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Notes :
(1) Les centres de recherche concernés sont le Centre de sciences humaines de Delhi (CNRS/Ministère de lEurope et des Affaires étrangères), le laboratoire Génomique évolutive, modélisation et santé (CNRS/Institut Pasteur), le National Institute of Malaria Research (Indian Council of Medical Research) et le laboratoire Géographie-cités (CNRS/Université Paris 1 Panthéon Sorbonne/EHESS/Université de Paris).
Journal
PLoS Neglected Tropical Diseases