La constante cosmologique, introduite il y a un siècle par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale, est le poil à gratter des physiciens. Lécart entre la prédiction théorique de ce paramètre et sa mesure basée sur des observations astronomiques est de lordre de 10121. Sans surprise, cette estimation est considérée comme la pire de toute lhistoire de la physique. Dans un article à paraître dans la revue Physics Letters B, un chercheur de lUniversité de Genève (UNIGE) propose une approche qui semble être en mesure de résoudre cette incohérence. Lidée originale du papier consiste à accepter quune autre constante, celle de la gravitation universelle G de Newton qui intervient aussi dans les équations de la relativité générale, puisse varier. Cette avancée potentiellement majeure, reçue positivement par la communauté scientifique, doit toutefois encore être poursuivie afin de produire des prédictions susceptibles dêtre confirmées ou infirmées expérimentalement.
«Mon travail consiste en une manipulation mathématique inédite des équations de la relativité générale qui permet enfin daccorder la théorie et lobservation au sujet de la constante cosmologique,» estime Lucas Lombriser, professeur assistant au Département de physique théorique de la Faculté des sciences de lUNIGE et unique auteur de larticle.
Une expansion en pleine accélération
La constante cosmologique Λ (lambda) a été introduite dans les équations de la relativité générale par Albert Einstein il y a plus dun siècle. Le célèbre physicien en avait besoin pour que sa théorie soit compatible avec un Univers quil imaginait statique. En 1929, le physicien Edwin Hubble découvre toutefois que les galaxies séloignent toutes les unes des autres, signe que lUnivers et en réalité en expansion. En apprenant cela, Albert Einstein regrette davoir introduit la constante cosmologique, devenue inutile à ses yeux, et la qualifie même de «plus grande bêtise de sa vie».
En 1998, lanalyse précise des supernovæ lointaines offre la preuve que lexpansion de lUnivers, loin dêtre constante, subit même une accélération, comme si une force mystérieuse faisait gonfler le cosmos de plus en plus rapidement. La constante cosmologique est alors de nouveau appelée à la rescousse afin de décrire ce que les physiciens appellent l«énergie du vide». Une énergie dont la nature est inconnue (on parle dénergie sombre, de quintessence, etc), mais qui est responsable de lexpansion accélérée de lUnivers.
Les observations les plus précises des supernovæ et surtout du fond diffus cosmologique (un rayonnement micro-onde qui provient de tous les points du ciel et qui est considéré comme la relique du Big Bang) ont permis de mesurer une valeur expérimentale de cette constante cosmologique. Le résultat est un chiffre très petit (1,11 × 10−52 m−2) mais suffisant pour générer leffet désiré dune expansion accélérée.
Grand écart entre la théorie et lobservation
Le problème, cest que la valeur théorique de la constante cosmologique est très différente. Cette valeur est obtenue grâce à la théorie quantique des champs selon laquelle, à toute petite échelle, en tout point de lespace et à tout moment, des couples de particules se créent et sannihiler quasi-instantanément. Lénergie de cette «fluctuation du vide» un phénomène bien réel est interprétée comme une contribution à la constante cosmologique. Mais lorsquon calcule sa valeur, on obtient un chiffre énorme (3,83 × 10+69 m−2), largement incompatible avec la valeur expérimentale. Cette estimation représente le plus grand écart jamais obtenu (dun facteur 10121, cest-à-dire un «1» suivi de 121 «0») entre la théorie et lexpérience dans lensemble de la science.
Ce problème de la constante cosmologique est lun des sujets les plus «chaud» de la physique théorique actuelle et il mobilise de nombreux chercheurs à travers le monde. Tous tournent et retournent les équations de la relativité générale dans tous les sens, cherchant à trouver des idées susceptibles de le résoudre. Plusieurs stratégies sont proposées, mais pour linstant aucune ne remporte lunanimité.
Lucas Lombriser, de son côté, a eu il y a quelques années lidée originale dintroduire une variation dans la constante universelle de gravitation G (celle de Newton) qui apparaît dans les équations dEinstein. Cela signifie que lUnivers dans lequel nous vivons (avec un G valant 6,674 08 × 10−11 m3/kg s2) devient un cas particulier parmi un nombre infini de possibilités théoriques différentes.
Lapproche mathématique de Lucas Lombriser permet, après nombre développements et hypothèses, de calculer le paramètre ΩΛ (oméga lambda) qui est une autre manière dexprimer la constante cosmologique mais qui est nettement plus facile à manier. Ce paramètre désigne aussi la fraction actuelle de lUnivers qui est composée dénergie sombre (le reste étant composé de matière). La valeur théorique obtenue par le physicien genevois est de 0,704, ou 70,4%. Ce chiffre est en bon accord avec la meilleure estimation expérimentale obtenue à ce jour: 0,685, ou 68,5%, ce qui est une énorme amélioration par rapport à lécart de 10121.
Ce premier succès doit désormais être suivi dautres analyses afin de vérifier si ce nouveau cadre de travail proposé par Lucas Lombriser permet de réinterpréter ou de clarifier dautres mystères de la cosmologie. Le physicien a déjà été invité à présenter et expliquer son approche dans des congrès scientifiques, ce qui témoigne de lintérêt de la communauté.
###
Journal
Physics Letters B