image: This is Jochen Jaeger, associate professor in the Department of Geography, Planning and Environment. view more
Credit: Concordia University
La plupart des automobilistes prêtent peu attention aux animaux tués sur les routes quils empruntent, sauf lorsquils doivent donner un coup de volant pour les éviter.
Or, leur quantité est sans doute beaucoup plus importante quils ne le pensent. Et celle-ci risque daugmenter dans le monde entier, étant donné la hausse des constructions routières et du débit de circulation. Il nous faut donc adopter des mesures pour empêcher avant tout les animaux des bois derrer sur les routes très fréquentées.
Jochen Jaeger est professeur agrégé au Département de géographie, durbanisme et denvironnement de lUniversité Concordia. Il a récemment supervisé une étude visant à mesurer lefficacité des passages souterrains qui permettent à la faune de traverser les routes en toute sécurité. Il a par ailleurs examiné si les clôtures et passages à faune aménagés dans certains tronçons de route réduisent la mortalité routière par rapport aux tronçons où ces mesures ne sont pas mises en place.
Larticle, publié dans la revue Journal of Environmental Management, a été corédigé avec Judith Plante (M.A. 2016). Il portait plus particulièrement sur un tronçon élargi de la route 175 reliant la ville de Québec à la région du Saguenay, qui traverse une grande partie de la réserve faunique des Laurentides et longe le parc national de la Jacques-Cartier. Entre 2006 et 2012, le ministère des Transports a élargi cette route pour la faire passer de deux à quatre voies, avec un terre-plein séparant les chaussées.
La route élargie présentait un risque pour les animaux sauvages du territoire quelle traverse. Ainsi, afin de réduire le taux de mortalité faunique et leffet de barrière de la route, le ministère a aménagé 33 passages à faune inférieurs sur un tronçon de 68 kilomètres. Une clôture de 200 mètres de longueur a en outre été installée le long de la route de part et dautre de chaque passage à faune.
On espérait ainsi que ces passages, combinés aux clôtures, inciteraient les animaux de petite et de moyenne taille à se déplacer sous la route plutôt quen surface. Si dautres autorités ont aussi eu recourt aux clôtures et aux passages à faune pour ce type danimaux, Jochen Jaeger se réjouit de souligner que le projet de la route 175 était essentiellement le premier du genre au Québec ce qui est déjà un pas dans la bonne direction.
Compte de carcasses
Afin de déterminer à quel point les clôtures et passages à faune protégeaient efficacement les animaux de petite et de moyenne taille, léquipe détudiants du professeur Jaeger devait dabord établir le nombre de carcasses comptées sur la route.
Durant quatre étés, de 2012 à 2015, ils ont ainsi parcouru presque chaque jour en voiture le tronçon de 68 kilomètres (dans les deux sens) pour dénombrer les animaux morts. Ce chiffre était élevé, précise Jochen Jaeger. On comptait surtout des porcs-épics, mais aussi des ratons laveurs, des renards roux, des mouffettes, des lièvres dAmérique, des écureuils, des marmottes communes, quelques castors et même deux lynx, ainsi que de nombreux autres petits mammifères comme des souris et des musaraignes.
En tout, léquipe a recensé près de 900 carcasses, mais le professeur Jaeger croit ce chiffre est en réalité plus important.
Pour savoir combien danimaux tués passaient inaperçus, Judith Plante a mesuré la probabilité de détection en comparant les résultats de deux équipes de recherche ayant séparément examiné la route pendant plusieurs mois. Elle a constaté que les équipes de repérage trouvaient seulement 82 pour cent des animaux de taille moyenne. Pour les plus petites bêtes, la probabilité de détection était encore plus basse : les données montraient que les observateurs voyaient seulement 17 pour cent du total de petits mammifères tués. Par ailleurs, on pense quun nombre inconnu danimaux blessés séloignent de la route pour mourir sur le côté des chaussées.
Daprès Judith Plante, auteure principale de létude qui travaille aujourdhui pour une société montréalaise de conseil en environnement, « la plupart des gens ne remarquent pas les animaux tués sur les routes. Mes yeux sont tellement habitués à les compter que je repère facilement les carcasses. La majorité des conducteurs les voient si peu quils ne réalisent pas lampleur du problème. »
Or, aussi surprenants que soient ces chiffres, Jochen Jaeger affirme quil est encore plus intéressant de voir où les carcasses se trouvaient.
« Nous avons examiné la mortalité routière dans trois types de zones : les espaces complètement clôturés, les zones situées près des extrémités des clôtures, et les zones éloignées des clôtures », poursuit-il.
« Nous avons découvert que la mortalité routière était plus importante aux extrémités des clôtures, ce qui signifie que certains des animaux séloignent des passages à faune et longent la clôture pour chercher une sortie. Lorsquils la trouvent, ils essaient de traverser la route et risquent de se faire tuer. Par conséquent, les clôtures doivent être rallongées pour dissuader les animaux de les longer. Cest ainsi que nous arriverons à réduire la mortalité routière. »
Pour Judith Plante, il est possible également que la végétation qui sépare les routes donne une illusion de sécurité aux animaux et les influence dans leur décision de traverser. Ils saventurent alors à travers les deux premières voies où circulent des véhicules pour atteindre le petit espace vert, seulement pour se retrouver dans la même situation difficile davoir à traverser deux autres voies.
Davantage de clôtures et de passages à faune inférieurs et supérieurs
Jochen Jaeger souligne quil ne sagit pas de la première étude à examiner leffet des clôtures dexclusion sur la mortalité routière des mammifères. Elle est cependant la première à étudier leffet relatif aux « extrémités de clôture » sur les petits et moyens mammifères.
« Les ministères du transport se préoccupent surtout des gros animaux, comme les orignaux et les ours, car ils provoquent des accidents, alors que les petits et moyens mammifères nen causent généralement pas à moins quun conducteur ne donne un coup de volant pour les éviter », explique-t-il.
Dune manière ou dune autre, les animaux vont traverser la route, poursuit le chercheur. Il est dans leur nature de se déplacer pour chercher de la nourriture, saccoupler ou trouver un nouveau territoire. Il revient par conséquent aux êtres humains de réduire limpact des routes et de la circulation sur les populations fauniques en rendant les traversées plus sécuritaires. Pour le professeur Jaeger, il y a tant de porcs-épics tués le long de la route 175 quil craint que cela ait une incidence permanente sur la population de cette espèce vivant près de la route. En effet, le taux de reproduction des porcs-épics est très faible et bien plus petit que celui dautres mammifères de même taille : un couple de porcs-épics na quun bébé par an.
Pour assurer lavenir et le bien-être des populations fauniques, les concepteurs de routes devraient à lavenir intégrer diverses mesures telles que des clôtures avec passages à faune inférieurs, voire aussi parfois des passages supérieurs. En déterminant les zones où il y a le plus danimaux tués, nous saurons où aménager les clôtures et les passages à faune pour quils soient le plus efficaces possible.
« Laménagement de passages inférieurs ou supérieurs est important, mais il est plus urgent de trouver avant tout des moyens de réduire le nombre danimaux qui se font tuer sur la route », conclut Jochen Jaeger. Le nombre de routes sur la planète augmente rapidement, et beaucoup dentre elles auront un impact sur les régions névralgiques pour la biodiversité. Tandis que nous assistons au début de la sixième extinction massive causée par les activités humaines, il est crucial de mettre en place des mesures datténuation appropriées pour préserver la biodiversité, en particulier dans les sites de biodiversité restants. Les résultats de létude peuvent aider à élaborer et à mettre en uvre des mesures datténuation et seront donc utiles bien au-delà des frontières du Québec.
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Létude a reçu lappui du ministère des Transports, de la Mobilité durable et de lÉlectrification des transports du Québec, récemment renommé ministère des Transports du Québec, ainsi que du Centre de la science de la biodiversité du Québec.
Consultez létude citée : How do landscape context and fences influence roadkill locations of small and medium-sized mammals?
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Journal of Environmental Management