Cest la plus grosse prise à ce jour au tableau de chasse des détecteurs dondes gravitationnelles (1) Ligo et Virgo : un trou noir ayant la masse de 142 soleils, issu de la fusion de deux trous noirs de 85 et 65 fois la masse du Soleil. Le trou noir final est le plus lourd jamais observé avec les ondes gravitationnelles et il pourrait donner des indications sur la formation des trous noirs supermassifs qui siègent au centre de certaines galaxies. La masse dun des trous noirs ayant fusionné, celui de 85 fois la masse du Soleil, fournit des éléments qui pourraient améliorer notre compréhension des ultimes étapes de lévolution des étoiles massives. La découverte, à laquelle ont contribué plusieurs équipes du CNRS au sein de la collaboration Virgo, est publiée le 2 septembre 2020 dans les revues Physical Review Letters et Astrophysical Journal Letters.
Capter la naissance dun trou noir issu de la fusion de deux autres, accompagnée de lémission dune énorme quantité dénergie : ce nouvel épisode pourrait paraître banal tant ces détections se sont enchaînées depuis 2015, lorsque, pour la première fois, furent observées les ondes gravitationnelles issues dun tel phénomène (2). Pourtant, GW190521, le signal enregistré le 21 mai 2019 par les instruments Ligo et Virgo, sort du lot car il est non seulement le plus distant et donc le plus ancien (londe gravitationnelle a mis 7 milliards dannées à nous atteindre), mais le trou noir qui résulte de la fusion est aussi le plus lourd jamais observé jusquici. Surtout, cette observation est la première preuve directe de lexistence de trous noirs dits « de masse intermédiaire » (entre 100 et 100 000 fois plus massifs que le Soleil). Ces derniers sont plus lourds que ceux issus de leffondrement détoiles massives, mais beaucoup plus légers que les trous noirs supermassifs logés au centre de certaines galaxies. Jusquà présent, seules des preuves indirectes obtenues grâce aux observations électromagnétiques laissaient présager leur existence.
Les trous noirs de masse intermédiaire sont intéressants car ils pourraient être la clef dune des énigmes de lastrophysique et de la cosmologie : l'origine des trous noirs supermassifs. Si la question est encore largement ouverte, lun des scénarios proposés pour expliquer la naissance de ces monstres cosmiques est justement la fusion à répétition de trous noirs de masse intermédiaire.
Les trous noirs dont on a observé la fusion, avec leur masse denviron 65 et 85 fois celle du Soleil, intriguent aussi les astrophysiciens. En effet, daprès les connaissances actuelles, leffondrement gravitationnel dune étoile ne peut pas former de trous noirs entre environ 60 et 120 masses solaires car les étoiles les plus massives sont complètement soufflées par lexplosion en supernova qui accompagne cet effondrement, ne laissant derrière elles que gaz et poussière. Comment le trou noir de 85 fois la masse du Soleil, qui siège dans cette région interdite, sest-il donc formé ? Y a-t-il quelque chose de mal compris dans la fin de vie des étoiles massives ? Sil na pas une origine stellaire, pourrait-il lui-même résulter dune fusion antérieure de trous noirs moins massifs ? Est-il au contraire un hypothétique trou noir primordial, formé lors du Big Bang ? Il est clair que lobservation de GW190521 pose de nouvelles questions sur la formation des astres énigmatiques que sont les trous noirs.
Par rapport aux détections précédentes, le signal GW190521 observé par Ligo et Virgo est très court et plus difficile à analyser. À cause de sa nature plus complexe, d'autres sources plus exotiques ont été envisagées pour lexpliquer, et ces possibilités sont décrites dans larticle publié par Astrophysical Journal Letters. Toutefois, la source la plus plausible de cette onde gravitationnelle reste la fusion de deux trous noirs.
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Notes:
(1) Les ondes gravitationnelles sont des ondulations de lespace-temps, prédites par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale en 1915 et détectées pour la première fois un siècle plus tard.
(2) Les ondes gravitationnelles détectées 100 ans après la prédiction d'Einstein (communiqué de presse, 11 février 2016) https://archives.cnrs.fr/presse/article/4409 ; On a détecté des ondes gravitationnelles (CNRS le journal, 11 février 2016) https://lejournal.cnrs.fr/articles/a-detecte-des-ondes-gravitationnelles
À propos des collaborations Virgo et Ligo
La collaboration Virgo est actuellement composée d'environ 580 scientifiques dans 13 pays européens. L'Observatoire gravitationnel européen (EGO) héberge le détecteur Virgo près de Pise en Italie, et est financé par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France, l'Istituto Nazionale di Fisica Nucleare (INFN) en Italie et Nikhef aux Pays-Bas. Une liste des équipes impliquées dans la collaboration Virgo est disponible sur http://public.virgo-gw.eu/the-virgo-collaboration.
Ligo est financé par la National Science Foundation (NSF) et géré par Caltech et le MIT, qui ont conçu Ligo et dirigé le projet. Le financement du projet Advanced Ligo est assuré par la NSF, avec des contributions importantes de l'Allemagne (Max Planck Gesellschaft), du Royaume-Uni (Science and Technology Facilities Council) et de l'Australie (Australian Research Council - OzGrav). Environ 1 300 scientifiques du monde entier sont regroupés au sein de la collaboration scientifique Ligo, qui comprend la collaboration GEO. Les autres partenaires sont recensés sur https://my.ligo.org/census.php.
Les publications scientifiques annonçant cette observation sont cosignées par 99 scientifiques de huit équipes françaises faisant partie de la collaboration Virgo :
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- le laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/Université de Paris) ;
- le laboratoire Astrophysique relativiste, théories, expériences, métrologie, instrumentation, signaux (CNRS/Observatoire de la Côte dAzur/Université Côte dAzur) ;
- lInstitut de physique des 2 infinis de Lyon (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) ;
- lInstitut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS/Université de Strasbourg) ;
- lInstitut lumière matière (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) ;
- le Laboratoire d'Annecy de physique des particules (CNRS/Université Savoie Mont Blanc) ;
- le Laboratoire Kastler Brossel (CNRS/Sorbonne Université/ENS-PSL/Collège de France) ;
- le Laboratoire de physique des 2 infinis - Irène Joliot-Curie (CNRS/Université Paris-Saclay).
Des scientifiques co-signataires des publications sont associés aux équipes ci-dessus et font partie des laboratoires suivants : Institut Foton (CNRS/Université Rennes 1/Insa Rennes), laboratoire Lagrange (CNRS/Université Côte dAzur/Observatoire Côte dAzur), Laboratoire de physique et d'étude des matériaux (CNRS/Sorbonne Université/ESPCI Paris).
Journal
Physical Review Letters