Contrairement aux idées reçues, une espèce peu abondante peut jouer un rôle écologique unique et essentiel. En étudiant deux bases de données regroupant lensemble des mammifères terrestres et des oiseaux à léchelle mondiale, des scientifiques du CNRS, de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), des universités Grenoble Alpes et de Montpellier[1] ont montré que bien que ces espèces soient présentes sur tous les continents, elles sont déjà plus menacées par lHomme que les espèces écologiquement communes et seront plus impactées par les changements climatiques à venir. Une véritable double peine ! Ces travaux, publiés le 8 octobre 2020 dans Nature communications, montrent quil devient nécessaire de prendre en considération la rareté écologique des espèces dans les programmes de conservation.
Il a longtemps été supposé que les espèces rares contribuaient faiblement au fonctionnement des écosystèmes. Des études récentes ont cependant remis en cause cette hypothèse, la notion de rareté ne recouvrant pas seulement labondance ou l'étendue géographique des espèces, mais aussi loriginalité de leurs rôles écologiques. Ces espèces aux fonctions uniques étant irremplaçables, il est désormais fondamental de comprendre leurs caractéristiques écologiques, de cartographier leur distribution et dévaluer leur vulnérabilité aux menaces actuelles et futures.
À partir de deux bases de données regroupant les espèces de mammifères terrestres (4 654 espèces) et doiseaux (9 287 espèces) à léchelle mondiale, des scientifiques du Centre de synthèse et danalyse de la biodiversité (Cesab) de la FRB, de laboratoires du CNRS, des universités Grenoble Alpes et de Montpellier et de leurs partenaires ont cartographié le nombre d'espèces écologiquement rares dans des zones géographiques de 50 km par 50 km à travers le monde. Ils ont démontré que la rareté écologique des mammifères se concentre dans les tropiques et dans l'hémisphère sud, avec des pics dans les îles indonésiennes, à Madagascar et au Costa Rica. Il sagit surtout despèces nocturnes et frugivores (par exemple, les chauves-souris ou les lémuriens) ou insectivores (comme certains petits rongeurs). Les espèces doiseaux écologiquement rares se rencontrent principalement dans les régions montagneuses tropicales et subtropicales, en particulier en Nouvelle-Guinée, en Indonésie, dans les Andes et en Amérique centrale. Il sagit essentiellement de espèces frugivores ou nectarivores (comme les oiseaux mouches). Dans les deux cas, la rareté écologique est largement surreprésentée dans les îles.
Les chercheuses et chercheurs ont également classé ces espèces en fonction de leur statut sur la liste rouge de lUICN[2]. Ils ont ainsi constaté que les espèces écologiquement rares étaient surreprésentées dans les catégories menacées de l'UICN, tant pour les mammifères (71 %) que pour les oiseaux (44,2%) par rapport aux espèces écologiquement communes (2 % et 0,5 %, respectivement). Pour chaque espèce, ils ont évalué leur exposition à limpact anthropique, au développement humain (IDH) et aux conflits armés, ces deux derniers influençant les politiques de conservation. Ils ont constaté que les mammifères et les oiseaux écologiquement rares étaient plus touchés par l'influence humaine que les espèces plus communes et quils étaient présents dans tous les types de pays, indépendamment de leur indice de développement ou du nombre de conflits[3]. Concernant l'influence du changement climatique, les scientifiques ont montré, à laide de modélisations, que les oiseaux écologiquement rares seront les plus touchés et que nombre dentre eux risquent lextinction dici 40 ans.
Ce « profilage » des espèces écologiquement rares met en évidence que leur préservation, même dans les zones actuellement protégées, nest pas suffisante. La conservation des espèces est, aujourdhui encore, trop souvent basée sur leur identité et leur statut démographique. Pourtant, la prise en compte de loriginalité de leurs rôles écologiques est essentielle et devrait aussi guider les actions de conservation. Cest un vrai changement de paradigme des politiques de conservation quil faut désormais mettre en uvre pour préserver ces espèces essentielles au bon fonctionnement des écosystèmes.
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Pour en savoir plus, voici des exemples despèces écologiquement rares : https://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2020-10/Exemples_Especes_EcoRare_VF.pdf
Notes
1 Au Centre pour la biodiversité marine, l'exploitation et la conservation (CNRS/Université de Montpellier/IRD/Ifremer), au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS/Université de Montpellier/Université Paul Valéry de Montpellier/EPHE/IRD), au Laboratoire d'écologie alpine (CNRS/Université Grenoble Alpes/Université Savoie Mont Blanc) et au Centre de synthèse et danalyse sur la biodiversité (Cesab) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Ce travail est issu du groupe de synthèse FRB-Cesab « FREE » co-financé par la FRB et EDF.
2 L'Union internationale pour la conservation de la nature est l'une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à la conservation de la nature. Elle classe les espèces selon leur risque dextinction, de « préoccupation mineure » à « éteint » en passant par « quasi menacée », « vulnérable » ou encore « en danger ».
3 Par exemple, les Philippines possèdent un indice de développement humain (IDH) faible et un nombre élevé de conflits et sont considérées comme un point chaud de rareté écologique (19 espèces de mammifères et 15 doiseaux écologiquement rares) tout comme lAustralie qui, à linverse, possède un IDH élevé et un faible nombre de conflits et accueille respectivement 10 espèces de mammifères et d'oiseaux écologiquement rares.
Journal
Nature Communications