Une palette de couleurs sur une plaque argentée : voici à quoi ressemble la première photographie couleur de lhistoire, prise par le physicien français Edmond Becquerel, en 1848. Rapidement abandonné, son procédé avant tout empirique navait jamais été expliqué. Une équipe du Centre de recherche sur la conservation (CNRS/Muséum national dHistoire naturelle/Ministère de la Culture) vient de le percer au jour, en collaboration avec le synchrotron SOLEIL et le Laboratoire de physique des solides (CNRS/Université Paris-Saclay). Les couleurs obtenues par Edmond Becquerel seraient dues à la présence de nanoparticules dargent métallique, daprès leur étude publiée le 30 mars 2020 dans la revue Angewandte Chemie International Edition.
En 1848, au Muséum dHistoire naturelle à Paris, Edmond Becquerel réussit à produire une photographie du spectre solaire en couleurs. Ces photographies, quil dénomme « images photochromatiques », sont considérées comme les premières photographies couleur de lhistoire. Rares sont celles qui nous sont parvenues (1) parce qu'elles sont fragiles à la lumière et que, de surcroit, très peu furent produites. Il faudra attendre lintroduction dautres procédés (2) pour rendre la photographie couleur populaire.
Pendant plus de 170 ans, la nature de ces couleurs a été lobjet de débats dans la communauté scientifique, sans que lon nait jamais tranché la question. Cest désormais chose faite grâce à une équipe du Centre de recherche sur la conservation (CNRS/MNHN/Ministère de la Culture) en collaboration avec le synchrotron SOLEIL et le Laboratoire de physique des solides (CNRS/Université Paris-Saclay). Après avoir reproduit le procédé dEdmond Becquerel pour réaliser des échantillons de différentes couleurs, léquipe a dabord réexaminé les hypothèses du XIXe siècle à la lumière des outils du XXIe. Si les couleurs étaient dues à des pigments formés lors de la réaction avec la lumière, on aurait dû constater des variations de composition chimique dune couleur à lautre, ce quaucune méthode de spectroscopie na mis en évidence. Si elles résultaient dinterférences, comme les teintes de certains papillons, la surface colorée aurait dû présenter des microstructures régulières, dune taille proche de la longueur donde de la couleur en question. Or, aucune structure périodique na été observée au microscope électronique.
En revanche, lexamen des plaques colorées a révélé des nanoparticules dargent métallique dans la matrice faite de grains de chlorure dargent et les distributions de tailles et de localisations de ces nanoparticules varient selon la couleur. Les scientifiques supposent que selon la couleur de la lumière (et donc son énergie), les nanoparticules présentes dans la plaque sensibilisée se réorganisent : certaines se fragmentent, dautres coalescent. La nouvelle configuration confère au matériau la faculté dabsorber toutes les couleurs de la lumière, à lexception de celle qui lui a donné naissance : cest donc cette couleur qui est perçue. Les propriétés des nanoparticules en lien avec les couleurs induites correspondent à un phénomène connu chez les physiciens sous le nom de plasmons de surface (3), des vibrations d'électrons (ici, ceux des nanoparticules dargent métallique) qui se propagent dans le matériau. Les énergies de ces vibrations ont dailleurs pu être mesurées avec un spectromètre dans un microscope électronique, confirmant lhypothèse de léquipe.
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Ce travail a notamment reçu le soutien du programme SACRe de lUniversité PSL, de lObservatoire des Patrimoines de Sorbonne Université et du réseau national Microscopie électronique en transmission et sonde atomique du CNRS et du CEA.
Notes :
(1) Seules quelques dizaines dimages de ce type, produites par Edmond Becquerel puis Niépce de Saint Victor, sont conservées dans des réserves de musées.
(2) Voir par exemple : https://lejournal.cnrs.fr/articles/ainsi-naquit-la-photographie-couleur
(3) Ce phénomène, qui explique les couleurs dobjets aussi anciens que la coupe romaine de Lycurgue, est aujourdhui étudié par les physiciens qui espèrent des applications comme des microprocesseurs ultrarapides ou lamélioration de différents types de détecteurs.
Journal
Angewandte Chemie International Edition