Des chercheurs à lInstitut Paul Scherrer PSI ont réussi à mesurer une propriété du neutron avec une précision inédite. Ils ont notamment découvert que cette particule élémentaire avait un moment dipolaire électrique nettement plus petit que ce quon imaginait jusquici. Avec ce résultat, il est devenu moins probable que ce moment dipolaire puisse contribuer à expliquer lorigine de la matière qui existe aujourdhui dans lensemble de lunivers. Les chercheurs ont obtenu ce résultat à laide de la source de neutrons ultra-froids du PSI. Ils le publient aujourdhui dans la revue spécialisée Physical Review Letters.
Le Big Bang a vu lapparition de la matière de lunivers, mais aussi de ce quon appelle lantimatière. Cest du moins ce que postule la théorie dominante. Mais comme la matière et lantimatière se détruisent mutuellement, cela signifie que la matière est apparue en excédent et que cet excédent perdure encore aujourdhui. La cause de cet excédent de matière est lune des grandes énigmes en physique et en astronomie. Des chercheurs espèrent découvrir un indice du phénomène sous-jacent, entre autres en se servant de neutrons, des particules de charge électrique nulle qui sont des composants élémentaires des atomes. Leur hypothèse est la suivante: si le neutron possède ce quon appelle un moment dipolaire électrique (nEDM) que lon arrive à mesurer et qui savère différent de zéro, cela pourrait être dû au même principe physique permettant dexpliquer lapparition dun excédent de matière après le Big Bang.
50 000 mesures
En langage quotidien, la recherche du nEDM correspond à la question suivante: le neutron est-il ou nest-il pas une boussole électrique? On sait en effet depuis longtemps que le neutron est une boussole magnétique qui réagit à un champ magnétique ou, pour utiliser un jargon de spécialiste, quil possède un moment dipolaire magnétique. Si le neutron devait également posséder en plus un moment dipolaire électrique, la valeur de ce dernier serait nettement inférieure et donc beaucoup plus difficile à mesurer. Cest ce quont déjà montré des mesures menées par dautres groupes de recherche. Lors de leur mesure actuelle, les chercheurs du PSI ont donc dû consentir beaucoup defforts pour assurer une grande stabilité du champ magnétique local. Chaque camion qui passait sur la grand-route à côté du PSI perturbait le champ magnétique dans un ordre de grandeur pertinent pour lexpérience et devait donc être déduit des données expérimentales.
Pour avoir une chance de mesurer le nEDM, il fallait aussi disposer dun nombre important de neutrons observés. Les mesures au PSI ont donc été menées sur un durée de deux ans. Les neutrons mesurés étaient ce quon appelle des neutrons ultra-froids, autrement dit des neutrons comparativement lents. Toutes les 300 secondes, un paquet de 10 000 neutrons était dirigé vers lexpérience et mesuré. En tout, cette mesure a été répétée 50 000 fois.
«Même pour le PSI avec ses grandes installations de recherche, cétait une étude dassez grande envergure, souligne Philipp Schmidt-Wellenburg, chercheur du PSI participant au projet. Mais cest précisément ce dont on a besoin aujourdhui dans la quête dune physique au-delà du modèle standard.»
En quête dune «nouvelle physique»
Le nouveau résultat a été mis en évidence par une coopération de chercheurs de 18 instituts et hautes écoles dEurope et des Etats-Unis, dont lETH Zurich, lUniversité de Berne et LUniversité de Fribourg. Les données ont été collectées à la source de neutrons ultra-froids du PSI. Les chercheurs y ont collecté des données de mesure pendant deux ans, avant de se répartir en deux équipes pour les analyser très minutieusement et obtenir ainsi un résultat dune précision inédite.
Le projet de recherche du nEDM sinscrit dans la quête de ce quon appelle la «nouvelle physique au-delà du modèle standard». Cette quête a lieu aussi aux grandes installations de recherche comme le Large Hadron Collider LHC du CERN. «La recherche au CERN ratisse large et cherche de manière générale à identifier de nouvelles particules et leurs propriétés, explique Philipp Schmidt-Wellenburg. Alors que de notre côté, nous allons en profondeur en scrutant une seule propriété dune seule particule, le neutron. Mais nous atteignons sur ce détail un degré de précision que le LHC mettrait peut-être 100 ans à obtenir.»
«En fin de compte, différentes observations cosmologiques montrent des écarts par rapport au modèle standard, ajoute Georg Bison, qui travaille comme Philipp Schmidt-Wellenburg au laboratoire de physique de particules du PSI. Mais en laboratoire, on na encore jamais réussi à les reproduire. Cest lune des très grandes questions de la physique moderne et cest ce qui rend notre travail si palpitant.»
Des mesures encore plus précises sont prévues
Lissue des toutes dernières recherches des scientifiques na pas été différente. «Notre résultat actuel a lui aussi fourni pour le nEDM une valeur proche de zéro, qui est trop faible pour que nous puissions la mesurer avec les instruments dont nous disposons aujourdhui, relève Philipp Schmidt-Wellenburg. Avec ce résultat, la probabilité que le neutron permette dexpliquer lexcédent de matière sest amenuisée. Mais elle nest toujours pas complètement exclue. Et de toute façon, pour la science, il y a un intérêt à connaître la valeur précise du nEDM pour savoir sil est possible de découvrir une nouvelle physique par ce biais.»
La prochaine mesure, qui sera encore plus précise, est donc déjà en préparation. «En 2010, quand nous avons mis en service ici, au PSI, la source de neutrons ultra-froids, nous savions déjà que lexpérience restante ne serait pas encore à la hauteur des possibilités de linstallation, reconnaît Georg Bison. Cest pourquoi nous sommes en train de monter une expérience de plus grande envergure qui, elle, le sera.» Les chercheurs du PSI prévoient de démarrer la nouvelle série de mesures du nEDM dès 2021 et de surpasser lactuelle en termes de précision.
«Au cours des dernières années, nous avons accumulé de nombreux acquis que nous avons pu mettre à profit pour optimiser notre expérience, aussi bien du point de vue de notre source de neutrons que de la meilleure évaluation possible de données aussi complexes dans le domaine de la physique des particules, se réjouit Philipp Schmidt-Wellenburg. La publication actuelle a établi un nouveau standard au niveau international.»
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Texte: Institut Paul Scherrer/Laura Hennemann
Des images peuvent être téléchargées sur https://www.psi.ch/de/node/TY
Informations supplémentaires
Une nouvelle méthode va permettre de mesurer les neutrons avec une précision inédite. Communiqué de presse du 2 octobre 2015: http://psi.ch/zEHx
Contact
Dr Philipp Schmidt-Wellenburg
Laboratoire de physique des particules, division Recherche avec neutrons et muons
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI Suisse
Téléphone: +41 56 310 56 80, e-mail: philipp.schmidt-wellenburg@psi.ch [allemand, anglais]
Dr Georg Bison
Laboratoire de physique des particules, division Recherche avec neutrons et muons
Institut Paul Scherrer, Forschungsstrasse 111, 5232 Villigen PSI, Suisse
Téléphone: +41 56 310 58 36, e-mail: georg.bison@psi.ch [allemand, anglais]
Publication originale
Measurement of the permanent electric dipole moment of the neutron
C. Abel et al.
Physical Review Letters 28 février 2020 (en ligne)
Abstract: https://journals.aps.org/prl/accepted/b607fY80Z3a12a6ab8689246ed949444cd5500f42
Journal
Physical Review Letters